ETTE
rue a été percée en 1792 sur l'emplacement de l'église
paroissiale de Sainte-Magdelaine, détruite à cette époque
et d'où le culte paroissial avait été transporté
(par le clergé constitutionnel), depuis le 7 mai de l'année précédente,
dans l'église des religieux Prêcheurs ou Dominicains, ou il est
encore exercé aujourd'hui.
Très anciennement, cette paroisse, la seule de la ville comtale, était
située hors des murs, au lieu à peu près où est
actuellement l'hôtel de la Mule-Noire, au levant du Pont-Moreau ; mais
vers le milieu du XIVe siècle, on l'avait transférée dans
la ville, au midi du palais de nos comtes, et moins de cinquante ans plus tard
, elle fut rebâtie sur le même local , par les soins et en grande
partie par les libéralités de Guigonnet Gerente ou Jarente seigneur
de Monclar et de Gémenos.
Guigonnet avait été l'un des plus zélés partisans
de la seconde maison d'Anjou, lorsqu'elle s'établit en Provence, après
la mort de la reine Jeanne. Il était secrétaire rational et archivaire
depuis 1366, lorsque cette princesse le fit son avocat et procureur fiscal en
1378, puis maître-rational en 1380. Le journal manuscrit de Jean Lefèvre,
évêque de Chartres, 1
chancelier de Louis 1er et de Louis II d'Anjou, rois de Naples et comtes de
Provence, nous représente Guigonnet comme un homme infatigable, sans
cesse en mouvement pour faire triompher la cause de ces princes contre Charles
de Duras, le meurtrier et le successeur de la reine Jeanne, sa bienfaitrice,
alors seul héritier de la première maison d'Anjou, qui occupait
le trône de Naples.
La ville d'Aix et quelques autres avaient formé, en faveur de ce prince,
une ligue connue dans l'histoire de Provence, sous le titre d'Union d'Aix,
laquelle résista longtemps aux efforts de ses compétiteurs. Mais
Charles de Duras étant mort, cette ligue se soumit enfin à Louis
II et à la reine Marie de Blois, sa mère et sa tutrice, qui firent
leur entrée solennelle dans Aix, le 21 octobre 1387. Guigonnet Jarente
se fit remarquer plus tard par sa prudence et la sagesse de ses conseils dans
la guerre contre Raymond de Turenne qui eut lieu pendant les dernières
années de ce siècle.
C'est à cette même époque qu'il contribua puissamment à
la reconstruction de l'église paroissiale de Sainte-Magdelaine ; mais
il ne survécut pas longtemps à cette reconstruction. Il mourut
le 20 janvier 1401, et fut inhumé dans le sanctuaire de cette église
au pied du maître-autel. Il était représenté en habit
de maître-rational sur le marbre qui couvrait sa tombe et on y lisait
son épitaphe. L'une et l'autre furent respectées et rétablies
dans le même état, lors d'une nouvelle construction de cette église
à laquelle on voulut donner une étendue plus considérable
en 1676.
On y voyait encore, lors de sa démolition en 1792, quelques autres tombes
et épitaphes, parmi lesquelles nous citerons celles de Cola de Castillon,
seigneur de Beynes et de Cucuron, maître-rational, mort en 1461 ; de Gervais
de Beaumont, premier président du parlement, mort en 1529, dans
sa terre de Fonscolombe, à l'âge de cent trois ans ; et de Balthazar
de Jarente, archevêque d'Embrun. Celui-ci, descendant de Guigonnet, était
chanoine d'Aix , lorsqu'il fut nommé premier président de la chambre
des comptes de Provence en 1515. François 1er l'avait envoyé à
Rome pour traiter de la paix avec Charles-Quint, et le nomma à son retour,
en 1531, à l'évêché de Vence, d'où il fut
transféré, en 1540, sur le siége de Saint-Flour. Mais le
trouvant trop éloigné d'Aix où sa charge de président
réclamait sa présence, il le fit passer, en 1551, à l'archevêché
d'Embrun. Balthazar de Jarente fit de grands biens à son église
cathédrale, qu'il avait le dessein d'achever et dont il avait déjà
fait commencer le portail ; à celle d'Aix, dont la nécrologie
a conservé de lui un souvenir honorable, et à cette église
de Sainte-Magdelaine où il fut enterré en 1555. Il avait fait
construire une partie des bâtiments de l'hôpital Saint-Jacques d'Aix,
et fait dans cette ville quelques autres fondations dont nous aurons occasion
de parler.
Parmi les familles nobles ou bourgeoises qui avaient leur sépulture dans
cette église et qui sont éteintes ou se sont transplantées
ailleurs, nous citerons les d'André , les Aycard, les Bardon et les Beaumont,
les Clavier, les Fregier, les Geoffroy et les Guelton, les Joannis, seigneurs
de Châteauneuf et de la Brillane, les Julien et les la Rouvière,
les Lévêque, seigneurs de Rougiers et de Saint-Etienne, les Miollis
et les Moricaud , les Rabasse, seigneurs de Vergons, qui avaient fourni sept
procureurs-généraux au parlement, de père en fils, depuis
1554 jusqu'en 1728, les Ravel, les Rici et les Tisati.
Enfin, sur les piliers du sanctuaire de l'église de Sainte-Magdelaine,
on voyait les mausolées et épitaphes de MM. le Bret père
et fils, successivement premiers présidents du parlement et intendants
de Provence, morts l'un en 1710, l'autre en 1734 ; et au bas de l'église,
sur la gauche du bénitier, était la tombe de notre illustre peintre
Jean-Baptiste Vanloo, avec cette inscription noble et simple : hic jacet
Vanloo. 2
On y trouvait aussi quelques tableaux de Jean Dard, de
Jean-Baptiste Vanloo et d'André Bardon, ainsi que cette belle statue
en marbre de la sainte Vierge, ouvrage de Chastel, que les connaisseurs voient
encore avec admiration dans l'église paroissiale actuelle.
Au midi et à peu de distance de cette ancienne église paroissiale,
se trouvait celle des religieux Grands-Carmes, fondée en 1359 et dont
une partie subsiste encore comme entrepôt de boiseries. On y voyait au
moment de la révolution quelques bons tableaux de Daret, de Mignard d'Avignon
et de Serre, dont la plupart ornent actuellement nos églises. Le plafond,
peint par Daniel et par ses filles, vers la fin du XVIIe siècle, était
estimé. Il était divisé en trois parties qui représentaient
: l'une, Elie montrant à son disciple un nuage sortant de l'horizon ;
l'autre, le même Elie enlevé au ciel ; et le troisième,
la transfiguration de Notre-Seigneur.
Le mausolée d'Auguste de Thomas, marquis de Villeneuve, baron de la Garde,
mort en 1698, second président du parlement, était l'ouvrage d'Antoine
Duparc, sculpteur distingué de Marseille. Derrière le maître-autel
on voyait trois statues en pierre dorée, représentant les trois
Maries que le roi René avait données à cette église.
Blanche d'Anjou, fille naturelle de ce bon prince et quatrième femme
de Bertrand de Beauvau, baron de Precigny, morte à Aix, le 16 avril 1470,
à l'âge de vingt ans, était enterrée dans une chapelle
près du chur. Son épitaphe seule a été conservée
et l'on peut la voir incrustée dans le mur du fond du cloître de
Saint-Sauveur. Mais la statue de la princesse qui était couchée
sur le tombeau a disparu à la révolution comme tous les monuments
dont nous venons de parler et les peintures de Daniel. Cette statue méritait
cependant d'être conservée comme pouvant être utile à
l'histoire de l'art en Provence au XVe siècle. La robe de la princesse
était semée mi-partie de lionceaux qui sont les armes de Beauvau,
et mi-partie de fleurs de lys et de croix de Jérusalem, pièces
des armes d'Anjou-Sicile.
La chapelle du roi René, dont les entrailles y étaient déposées
sous une petite grille de fer, formait sans doute ce qu'il y avait de plus curieux
dans l'église des Carmes. Ce bon prince y entretenait huit chantres,
excellents musiciens, qu'après sa mort Louis XI, son neveu, roi de France,
envoya chercher, en leur donnant de gros gages, pour chanter chaque jour, à
sept heures du matin, une grand'messe qu'il avait fondée en l'honneur
de saint Jean dans la sainte chapelle de son palais royal à Paris. 3
Le tableau de l'autel était celui qu'ou voit aujourd'hui dans la grande
nef de Saint-Sauveur, représentant le buisson ardent au milieu duquel
se trouve la sainte Vierge tenant l'enfant Jésus au bras, et sur les
deux côtés, au pied de l'arbre, Moïse et un berger. Sur l'un
des deux volets qui recouvrent le tableau, sont peints le roi René, la
Magdelaine, saint Antoine et saint Maurice ; et sur l'autre, la reine Jeanne
de Laval, seconde femme de René, saint Jean l'évangéliste,
sainte Catherine et saint Nicolas. Sur l'extérieur des volets sont, d'un
côté, la vierge Marie et de l'autre l'ange Gabriel qui lui annonce
la volonté du Très-Haut.
Une tradition de plus de trois siècles que Millin 4
et d'Agincourt 5
n'ont pas cherché à contester en parlant de ce précieux
tableau, l'attribue au roi René ; et si Millin est moins positif dans
ce qu'il en dit, d'Agincourt n'hésite pas à reconnaître
qu'il a été peint par notre bon roi. Cependant quelques connaisseurs
venus après ces maîtres de l'art, répudient la tradition
et veulent que Jean Van-Eyck, dit Jean de Bruges, soit l'auteur de ce tableau.
Inutilement leur dirions-nous que Van-Eyck était mort au plus tard en
1450, c'est-à-dire au moins cinq ans avant le mariage du roi René
avec Jeanne de Laval ; ils n'en réimprimeront pas moins obstinément
leur importante découverte dans les futures éditions de leurs
ouvrages.
Dans la sacristie des Carmes se trouvait cet autel curieux qui est maintenant
à Saint-Sauveur, duquel nous avons parlé plus haut 6
et qui fut érigé par Urbain Aygosi en 1470.
Honoré Bouche, ce laborieux historien à qui tous les auteurs qui
ont écrit sur notre pays ont tant d'obligations, quelques peines qu'ils
se donnent pour décrier son style, Honoré Bouche fut enterré
dans cette église le 16 mars 1671, et non dans l'église des Carmes-Déchaussés,
comme il est dit dans le Dictionnaire des Hommes illustres de Provence.
7 Bouche était
né à Aix, le 27 mai 1599, de Balthazar Bouche, bourgeois de cette
ville, 8 et de
Louise Meyronnet. Son principal ouvrage est la Chorographie ou Description
de la Provence et l'Histoire chronologique du même pays, en
2 volumes in-f°, auxquels il ajouta depuis des additions et corrections.
Il donna gratuitement son manuscrit à la province qui le fit imprimer
à ses frais, 9
avec les éloges que l'auteur méritait. Ses autres ouvrages dans
lesquels il soutient la tradition des Provençaux sur l'arrivée
de sainte Magdelaine, de saint Lazare et autres dans notre pays, contre l'opinion
du célèbre Launoy, ne lui firent guères moins d'honneur
; mais ils sont aujourd'hui à peu près oubliés et ils sont
devenus assez rares. 10
Les principales familles qui avaient eu leur sépulture aux Grands-Carmes
étaient les Aygosi, les Azan, les Badet, seigneurs de Gardanne, les Barrigue,
seigneurs de Fontainieu et les seigneurs de Montvalon, du même nom ; les
Bouchard, les Bouche, les Chailan, Seigneurs de Mouriez et les Chantre ; les
marquis d'Espinouse, les barons de Limaye et autres du nom de Coriolis ; les
d'Escalis, barons d'Ansouis, seigneurs de Bras et de Saint Martin, les Farges,
les Fauris, seigneurs de Saint-Vincens , de Noyers et de Saint-Clément,
les Figuières et les Franc, les Garde, seigneurs de Saint-Marc, depuis
barons de Vins, les Gibert, les Jorna , les Isoard , seigneurs de Chenerilles
et les Lyon-Saint-Ferréol, les Maynier des anciens seigneurs de Saint
Marcel Francfort 11
et les Mark-Tripoli-Panisse-Pazzi, les Michaëlis qui s'étaient divisés
en une foule de branches dont aucune n'existe plus, les Piolenc, les Puech,
les Séguiran et les Tabaret. C'est par l'énumération de
ces familles et de celles dont nous parlerons à l'occasion des autres
églises où elles étaient enterrées, que nous pouvons
faire connaître à nos lecteurs l'étendue des pertes que
la ville d'Aix a faites en ce genre, puisqu'on n'y rencontre aujourd'hui qu'un
si petit nombre de ces familles.
1 Ce journal, extrêmement curieux pour l'histoire de Provence à la fin du XIVe siècle, est demeuré manuscrit et se trouve en original à Paris dans la bibliothèque du Roi. A l'exception de Papon, aucun de nos historiens du pays ne l'a connu et Papon même y a puisé fort peu de chose. Il en existe trois copies à Aix : la première, à la bibliothèque Méjanes ; la seconde, dans celle de M. Rouard ; et la troisième, dans la nôtre. Ce qui y est rapporté sur l'Union d'Aix et les personnages qui y avaient joué un rôle, tels que Guigonnet Jarente, Arnoux la Caille, depuis prévôt de Saint-Sauveur, et autres, prouve combien Bouche, Pitton et de Haitze ont erré dans ce qu'ils ont dit sur cette union. Retour
2 Nous citerons encore parmi les morts qui avaient été enterrés dans cette église Louis Sube, décédé le 10 juin 1678, à l'âge de cent dix ans; Antoine-Jacob de Montfleury, avocat au parlement de Paris, auteur de plusieurs comédies au nombre desquelles on distingue la Fille capitaine et la Femme juge et partie, que la mort surprit à Aix, le 11 octobre 1685 ; et Anne-Marie Maynery, veuve de Gaspard de la Perousse, gouverneur du Cap-Nègre, morte au mois d'octobre 1770, âgée de cent ans et huit mois, ce qui ne se voit, pas souvent dans cette ville. Retour
3 Voyez les Chroniques d'Enguerran de Monstrelet, etc., Paris, 1595, in-f°, tom. III, aux additions, règne de Louis XI, pag. 73 ; et l'Histoire agrégative d'Anjou, etc. par Bourdigué, Paris, 1529, in-f° fol. 174. Retour
4 Voyage dans le Midi de la France, tom. II, pag. 339 et suiv. Retour
5 Histoire de l'art par les monuments, etc., tom. III, pag. 158 et 159 ; planche CLXVI. Retour
7 Tom. 1er, pag. 113. - Balthazar Bouche, son frère aîné, deux fois dernier consul d'Aix, en 1635-36 et en 1647-48, était né en cette ville le 21 décembre 1591, et fut enterré dans la même église des Grands-Carmes, le 5 mars1669. Sa constance et sa fermeté pour le soutien des libertés du pays contre les entreprises du ministère, lui valurent les honneurs de la persécution et le glorieux surnom de Martyr de la patrie. Voyez le même Dictionnaire des Hommes illustres de Provence, tom. 1er, pag. 114. Retour
8 Celui-ci était originaire de Puymoisson , près de Riez. Il avait un oncle François Boqui ou Bouche, chanoine de Saint-Sauveur à Aix qui, étant allé voir sa famille à Puymoisson, y fut tué par " les libertins de la nouvelle religion " en 1574, et pour lequel il fut fait " le cantar du bout de l'an ", le 17 août 1575 - (Voyez le registre des morts enterrés à Saint-Sauveur, de 1544 à 1629). Retour
9 Aix, Charles David, 1664. Retour
10 Vindic fidei et pietatis Provinci pro clitibus illius tutelaribus restituendis ,etc., Aix, Jean Roize, 1644, petit in-8°. La Défense de la foi et de la piété de Provence pour ses saints tutélaires Lazare et Maximin, Marthe et Magdalene, etc., Aix, Jean-Baptiste et Etienne Roize, 1663, in-4° - Voyez la Biographie universelle de Michaud, tom. V, art. Bouche, pag. 266. Retour
11 Parmi ceux-ci, nous mentionnerons Balthazar de Maynier, fils d'Honoré et d'Anne de Guerin, né à Aix le 15 décembre 1639, mort le 12 janvier 1733, à l'âge de quatre-vingt-treize ans un mois ; auteur de l'histoire de la principale noblesse de Provence. Aix, David, 1719, in-4°, suivie d'un Nouveau Etat de Provence. Avignon, Chastel, 1728, in-4°.- Balthazar de Maynier avait composé aussi une Histoire du Parlement d'Aix qui est demeurée manuscrite ; mais ce n'est qu'une mauvaise copie de celle de Louvet. Retour