Cet enclos est situé vers l'extrémité
de la vallée de Fenouillères à un quart d'heure
de la ville, non loin de la rivière de l'Arc. Comme il est facile d'en
juger par l'architecture, la maison d'habitation date de la fin du XVIe siècle.
Elle fut bâtie en effet par Louis Fabri, sieur de Fabrègues, qui
fut l'un des plus célèbres avocats de son temps et qui exerça
jusqu'à quatre fois les fonctions d'assesseur d'Aix , procureur du pays
de Provence.
Ce personnage joua un rôle important à l'époque des troubles
de la Ligue. Il a laissé des mémoires très curieux que
Louvet a fait imprimer, 1
et qui prouvent, dit le père Lelong, 2
que Fabrègues était un habile négociateur.
Zélé catholique et grand partisan de la fameuse comtesse de Sault,
Fabrègues se déclara ouvertement pour la Ligue après la
mort d'Henri III, " contre le roi de Navarre que je croyais, dit-il dans
ses mémoires, être légitime successeur quant au sang ; mais
incapable de la couronne, à cause de l'hérésie. "
En 1590, il fut l'un des députés que les états de Provence
envoyèrent au duc de Savoie, pour lui demander des secours, et l'année
suivante, il fut encore député, pour le même objet, auprès
du roi d'Espagne. Les détails qu'il donne sur ses négociations
dans les cours de Turin et de Madrid, sont fort curieux et jettent beaucoup
de jour sur l'histoire de ces temps-là. C'est au retour de sa dernière
ambassade qu'il fit bâtir la maison de campagne dont nous parlons, et
à laquelle nos paysans, naturellement railleurs, donnèrent aussitôt
le nom d'Espagne, comme ils donnèrent celui de Savoie à
une autre maison, bâtie en face de celle-ci, sur la rive opposée
de l'Arc, par l'un des députés à Turin. 3
Depuis, Fabrègues travailla avec beaucoup de chaleur à faire expulser
de la Provence le duc d'Epernon, à qui Henri IV avait retiré le
gouvernement de cette province. D'Epernon résista longtemps aux ordres
de son souverain, tint la ville d'Aix assiégée pendant plus d'un
an, et en ravagea le territoire, ainsi qu'on vient de le lire plus haut. "
Passant au moulin du pont de l'Arc, dit Fabrègues, ce duc fit étrangler
les soldats qui le gardaient, et les fit pendre aux croisées des fenêtres
de ma maison de Fenouillères. Il m'envoya dire par un valet qui s'y trouva,
que Dieu avait voulu faire porter ce beau fruit à Fenouillères,
avant de nous délivrer de sa tyrannie. Le comte 4
fit d'abord riposte, et pour huit pendus, il fit pendre seize soldats du duc,
huit cavaliers avec la casaque et huit Gascons prisonniers, qu'il fit partager
et pendre : huit aux fourches, 5
et huit à la tour du Guet ou des Anèdes, 6
le duc pouvant voir les uns et les autres avec sa livrée, du lieu où
il était, entre le pont de l'Arc et Beauvoisin. 7"
Fabrègues mourut à Aix, le 15 juillet 1616, et fut enterré
le lendemain dans l'église des Grands-Carmes. Il n'avait eu qu'une fille,
Antoinette de Fabri, mariée en 1600, à Pierre Decormis qui fut
deux fois assesseur d'Aix, puis avocat-général au parlement, et
qui a donné son nom à l'enclos dont nous venons de parler.
Nous avons fait mention ailleurs de ce grand magistrat et du président
de Beaurecueil, son fils. 8
Nous ne dissimulerons pas ici la surprise dans laquelle nous a jeté l'annonce
judiciaire insérée dans le Mémorial d'Aix du 1er
août 1847, relative à la vente d'un domaine important, situé
au quartier de Fenouillères, consentie par acte notarié du 15
juillet précédent, au prix de cent mille francs. Cette annonce
porte qu'avec ce domaine sont vendus deux appartements contigus, éclairés
au midi et au nord, au premier étage à gauche du palier du bâtiment
dit LA CAMPAGNE DU ROI RENÉ, etc. Il est évident par les autres
désignations de l'acte de vente précité, et il est positif
que les deux appartements en question sont situés dans le bâtiment
même de l'enclos de Decormis qui fait le sujet de notre réclamation
et qui fut bâti par Louis de Fabri Fabrègues à la fin du
XVIe siècle, c'est-à-dire plus de cent ans après la mort
du roi René, arrivée en 1480. Il n'est donc pas exact d'appeler
ce bâtiment de Decormis la campagne du roi René, laquelle était,
avons-nous dit plus haut, le bâtiment qui fait le coin et qui joint les
deux ailes des Infirmeries, ce qui est attesté par les actes déposés
aux archives de la ville et dont nous avons donné une analyse succincte.
Cet anachronisme, que nous appellerons presque une usurpation historique, doit,
ce nous semble, être relevé par nous, tout comme nous avons relevé
plus haut 9 l'erreur
de quelques personnes qui donnent pour habitation au roi René l'hôtel
de Simiane, bâti en 1641. Le nom du bon roi René se glisse aujourd'hui
partout involontairement, à tort ou à droit, ce qui prouve du
moins combien sa mémoire est encore en vénération parmi
nous.
1 Additions et illustrations sur les deux tomes de l'histoire des troubles de Provence, seconde partie, pag. 130 à 319. Retour
2 Bibliothèque historique de la France, tom. III, art. 38101. Retour
3 Jean de Forbin, seigneur de La Fare, premier consul d'Aix en 1590-91. Retour
4 Gaspard de Pontevès, comte de Carces, grand sénéchal de Provence et commandant à Aix pour la Ligue au nom du duc de Mayenne, dont il avait épousé la belle-fille née d'un premier lit de sa femme. Retour
5 Tertre situé au sud-ouest de la ville, aujourd'hui traversé par le grand chemin de Marseille, où étaient placées alors le fourches patibulaires, et qu'on nomme actuellement le Mont-Perrin. Retour
6 La tour des Anèdes (en français Canards), actuellement le moulin à vent de Galice. Retour
7 Aujourd'hui la Pioline. Retour
8 Voyez ci-dessus, pag. 12 et suiv. Retour
9 Voyez notre tom. 1er, pag. 611, not. 3. Retour