NCIENNEMENT
elle s'appelait la rue das Estubos ou das Caoudanos ; elle est
bordée de l'un et de l'autre côté par de très vieilles
maisons, au-dessous desquelles surgissent, de nombreuses sources d'eaux thermales.
Dans plusieurs caves de ces maisons, sont des bains antiques dont la construction
romaine ne saurait être révoquée en doute. Le docteur Robert,
auteur d'un Essai historique et médical sur les eaux de Sextius,
est le premier qui ait parlé de ces bains, et l'on peut voir ce qu'il
en dit dans son ouvrage. 1
Une de ces maisons fut vendue, en 1567, par les consuls, au nom de la ville,
à un nommé Guigon Mayne qui, suivant tontes les apparences, y
fit construire des bains publics. Le médecin Lauthier, écrivant
en 1705, son Histoire naturelle des eaux chaudes d'Aix, 2
atteste, en effet, que suivant la tradition de cette époque, il n'y avait
pas plus de cent cinquante ans, que les eaux du quartier de l'Observance servaient
à faire des bains, et Pitton, qui publia en 1678, son traité intitulé
les Eaux chaudes de la ville d'Aix, 3
est le premier auteur qui ait employé à leur égard le nom
de Mayne. Tout nous paraît donc concourir à attribuer à
ce Guigon Mayne, l'origine du nom vulgaire donné à ces bains publics,
et continué ensuite jusqu'à ce jour aux nouveaux bains que la
ville fit construire en 1705, à quelques pas de là et qu'on nomme
aussi les bains de Sextius. On peut lire dans l'Essai historique et médical,
ci-dessus cité, 4
ce que nous écrivions alors au docteur Robert, qui adopta sans difficulté
notre étymologie, laquelle s'est depuis changée en certitude historique
sous la plume de notre savant bibliothécaire, M. Rouard, dans sa Notice
sur la bibliothèque d'Aix, dite de Méjanes. 5
La rue des Etuves aboutit, du côté du nord, à une place
au devant de laquelle se trouvait l'église de l'Observance, bâtie
en 1466, et qui a été détruite pendant la révolution,
ainsi que le couvent des religieux Observantins. Cette église n'offrait
rien de bien remarquable, sinon qu'elle renfermait, plus qu'aucune autre un
bon nombre de sépultures d'anciennes familles de la ville, nobles ou
bourgeoises. Le grand Palamède de Forbin, mort en 1508, y était
enterré, de même que le premier président Jean Maynier d'Oppède,
l'exécuteur de l'arrêt rendu contre les hérétiques
de Cabrières et de Mérindol, mort en 1558 ; le premier président
Jean-Augustin de Foresta, mort en 1588 ; François de Clapiers, seigneur
de Vauvenargues et du Sambuc, mort la même année que le précédent,
le premier auteur qui ait fait imprimer une histoire des comtes de Provence.
6 Nous rappellerons
aussi le président François de Perussis, baron de Lauris, mort
en 1587, et qui voulut être enseveli dans cette église, dans un
tombeau antique en marbre, qu'il avait fait venir d'Arles, et sur lequel sont
sculptés un grand nombre de personnages représentant les Israélites
passant la mer Rouge. Ce tombeau est aujourd'hui au Musée. Dans la chapelle
où il était placé à gauche du grand autel, on voyait
deux tableaux sur bois qui servaient de portes au tableau de l'autel. Sur l'un
était représenté ce président de Perussis, et sur
l'autre le premier président d'Oppède, son beau-père, duquel
nous venons de parler. Celui-ci était peint à genoux. Ces portraits
ont disparu lors de la destruction de l'église.
Voici quelles étaient les principales familles qui avaient leur tombeau
à l'Observance et qui, presque toutes, avaient fourni des personnages
de mérite : les Aquillenqui, les Aimar, barons de Châteaurenard,
les Albertas seigneurs de Gémenos, marquis de Bouc, etc., les Albi, seigneurs
de Bresc, les Albinot et les Alpheran ; les Anglès ou Anglesy, les Arbaud,
seigneurs de Jouques, de Gardanne, etc., et les Audiffredi; les Baldoni, les
Ballon, seigneurs de Saint-Julien, les Barcillon, seigneurs de Mauvans, les
Barthélemi, seigneurs de Sainte-Croix , et les Beaufort; les Beauregard,
les Becarris, les Benault-Lubières, marquis de Roquemartine, les Bezieux,
les Billon, les Bougerel et les Broglia; les Cadenet, seigneurs de Charleval
, etc. , les Caissan et les Cipières ; les Clapiers, seigneurs de Vauvenargues,
etc. , les Colla, les Constans, les Dubourg et les Estienne, seigneurs du Bourguet
; les Feraporte , les Forbin ( Janson , la Barben d'Oppède, Sainte-Croix
et Soliès), les Foresta, seigneurs de Rougiers, marquis de la Roquette,
etc.; les Gaillard-d'Agoult et de Longjumeau , les Garçonnet et les Garidel
; les Gueidan seigneurs de Valabre, marquis de Gueidan, etc., les Guerre, les
Hélie et les d'Hupaïs; les Jujardi, les Issaurat et les Julianis;
les Malespine, les Manosque, les Mazargues, les Mimata, les Mine et les Montaud
; les Ollioules, les Paule, les Pellicot, seigneurs de Saint-Paul, et les Rascas,
seigneurs de Châteauredon et du Canet ; les Redortier, les Rians, les
Roboli et les Roquebrune ; les Simon, les Trest, les Tributiis, seigneurs de
Sainte-Marguerite, les Vinaud et les Vivaut.
M. François Alpheran, notre aïeul maternel, ancien garde du corps
de Louis XV, mort en 1795, et descendant de l'une de ces familles, apprenant,
en 1776, que le roi Louis XVI venait de prohiber les inhumations dans les églises,
poussa aussitôt des cris de fureur, et alla jusqu'à dire QUE LE
PRINCE QUI LUI ENLEVAIT LA CONSOLATION DE PENSER QUE SES CENDRES IRAIENT SE
MÊLER A CELLES DE SES PERES, NE REPOSERAIT PAS LUI-MÊME, APRES SA
MORT, AUPRES DE SES AUGUSTES ANCÊTRES. Effrayante prophétie qui
s'accomplit dans moins de dix-sept ans, et à laquelle se rattachent de
si douloureux souvenirs !!!
Dans notre enfance, nous avons entendu parler cent et cent fois de cette terrible
prédiction de notre aïeul, à laquelle nous n'attachions alors
aucune importance. Les événements de 1789 et 1790 furent cause
qu'on en parla encore plus souvent dans la famille, et lors de l'exécrable
attentat du 21 janvier 1793, nous étions en âge de comprendre et
de mesurer toute la portée de cette prédiction. Bien des gens
en eurent connaissance dans le temps, notamment M. de Gabriel, ancien conseiller
au parlement, avec qui nous en avons causé fort souvent depuis lors et
qui partageait les idées et les regrets de notre aïeul à
l'égard de leurs tombeaux de famille qui se trouvaient dans cette même
église de l'Observance. Le malheureux Louis XVI aurait pu en effet se
borner à interdire les tombes communes qui offraient vraiment du danger
pour la santé publique, chacun pouvant s'y faite enterrer et ces tombes
se rouvrant presque tous les jours ; il aurait pu prohiber la construction de
nouvelles tombes dans quelque cas que ce fût, mais il devait, selon nous,
laisser subsister celles des familles alors existantes, jusqu'à l'extinction
de ces familles ou leur transmigration dans un autre pays. Mais sous Louis XVI,
commençait le goût des innovations. Il fallait réformer,
faire du neuf et l'on a vu jusqu'où nous a conduit cette dangereuse manie.
En face de l'église de l'Observance, est située
une tour fort élégante construite vers le milieu du XIVe siècle,
lorsque la ville fut agrandie de ce côté, et qui fait partie du
mur d'enceinte.
Elle est nommée Tourreluco dans les anciens contrats de la ville,
parce qu'en temps de guerre, on plaçait des sentinelles au-dessus, pour
avertir de l'approche de l'ennemi. Cette tour est parfaitement conservée
et mérite de l'être. En 1455, elle fut vendue à Mitrone
de Rocca ou de la Roque, père du vénérable fondateur de
l'hôpital Saint-Jacques, et passa depuis à Guillen Salvatoris,
consul d'Aix en 1531-1532 ; mais la communauté la reprit plus tard et
en fit son magasin de munitions de guerre. Pendant la révolution on y
conservait la poudre à canon, ce qui a continué jusqu'à
la construction de la nouvelle poudrière bâtie, il y a environ
vingt ans, sur la route de Marseille, à mi-chemin de la sortie de la
ville au Pont-de-l'Arc.
A quelques pas au levant de l'église des religieux Observantins et le
long de la lice qui conduit de Tourreluco à la rue des Guerriers,
était située, en face du rempart, la chapelle des pénitents
Blancs, dits de l'Observance, pour les distinguer des Pénitents Blancs,
dits des Carmes. Cette chapelle, détruite pendant la révolution,
était ornée de fort belles peintures, notamment d'un plafond de
forme ovale, représentant la Résurrection, ouvrage de Jean Daret.
Ce qu'on remarquait de plus précieux dans cette chapelle était
un bas-relief en marbre représentant Notre-Dame-de-pitié, sous
la forme de la Vierge tenant Notre Seigneur mort sur ses genoux. Ce bas-relief,
d'environ 4 pieds de haut sur 3 de large et qu'on attribuait à Michel-Ange
avait été donné aux pénitents vers 1565, par le
second comte de Tende, Claude de Savoie gouverneur de Provence qui avait été
recteur de la confrérie. Son portrait se voyait dans une des salles attenantes
à la chapelle, ainsi que ceux de René de Savoie, son père,
et d'Honoré de Savoie, son fils, l'un et l'autre comtes de Tende et gouverneurs
de Provence, qui avaient été aussi recteurs de ces pénitents.
Ces portraits historiques ont été détruits et méritaient
bien cependant d'être conservés. René de Tende, frère
naturel de la mère de François 1er, avait été tué
en combattant à côté de ce prince à la malheureuse
bataille de Pavie, et honoré de Tende, son petit-fils, avait noblement
refusé de faire exécuter la Saint-Barthélemy en Provence,
en 1572. Mais que connaissaient les démolisseurs de 1793 à la
bataille de Pavie, ni même à la Saint-Barthélemy ?
Quelques autres portraits historiques ornaient encore ces salles et ont eu le
même sort que les précédents : tels que ceux de Jean Maynier
d'Oppède, premier président du parlement, mort en 1558 ; d'Henri
de Forbin d'Oppède, issu du précédent par les femmes, mort
également premier président en 1671 ; du duc de Mercur,
créé cardinal de Vendôme en 1667; enfin celui du grand prieur
Henri d'Angoulême, fils naturel d'Henri II, tué à Aix par
Altovitis en 1586. Ces divers personnages avaient été recteurs
de la confrérie.
Le grand-prieur d'Angoulême, gouverneur de Provence, était un ami
des arts ; il possédait un riche cabinet de curiosités antiques
et modernes. Il désirait vivement y réunir le bas-relief de Notre
dame de pitié, dont nous avons parlé, et le demanda aux pénitents
qui le lui refusèrent. Piqué de ce refus, il les quitta pour se
faire agréger aux pénitents des Carmes.
Ceux-ci portaient alors l'habit noir, étant une scission des pénitents
Noirs établis dans le voisinage des religieux Cordeliers. Ces pénitents
avaient pris la robe noire en 1563 au lieu de la robe blanche qu'ils portaient
depuis leur fondation. En 1573, quelques-uns d'entre eux, mécontents
de l'élection de leur recteur, s'étaient séparés
d'eux et avaient fondé la chapelle des pénitents des Carmes dans
l'église des religieux de ce nom, d'où ils se transférèrent,
en 1654, au lieu qu'ils occupent actuellement dans la rue du Louvre.
Voulant reconnaître l'honneur que leur faisait le prince en s'agrégeant
à eux, ils quittèrent en sa faveur la robe noire et adoptèrent
la couleur blanche qui est la leur depuis lors.
On fit à cette occasion la chanson provençale
que nous allons rapporter quoique assez mauvaise. Mais comme monument historique,
elle offre quelque intérêt, attendu qu'elle fut chantée
pendant plusieurs années dans les rues d'Aix sur un air connu à
cette époque:
Frairés menouns, 7 prénéz-vous gardo !
Dien qué leis Carmés an fach bugado ;
Que senso liciou ni saboun,
Soun venguts blancs coumo coutoun.Es els qué fouroun, dévéz saoupré
Daou temps qué sourtéroun dé vaoutrés,
En mil cinq cens huétanto-trés,
Négrés despiei seixanto-trés.Si féroun blancs, l'histori escriou
Per aver moussu lou grand-priou,
Qu'éro reçu de la Servanço,
Despiei qu'éro vengut de Franço.Dé l'aver per aver l'hounour,
Coumo éro nouestré gouvemour,
Senso sabounar seis habits,
Si soun fach blancs, la cansoun dis.
Quant au bas-relief, qui fut la cause de la rupture
entre le grand-prieur et les pénitents de l'Observance, il est aujourd'hui
placé dans la chapelle du palais archiépiscopal. Nous laissons
aux connaisseurs le soin de décider s'il est de Michel-Ange, ainsi que
le veut la tradition, et comme semble l'indiquer une gravure faite à
Rome en 1579 qu'on trouve à la bibliothèque d'Aix, dans un des
portefeuilles de MM. de Saint-Vincens.
Nous n'avons rien à dire sur la rue de la Treille voisine de celle des
Etuves et qui est une continuation de la rue du Bon-Pasteur ou des Trabaux,
sinon qu'un habitant y ayant
planté une treille devant sa maison, il y a sans doute fort longtemps,
lui a fait donner ce nom digne d'un village plutôt que d'une ville.
1 Aix, G. Mouret, 1812, in-8°, pag. 100 et suiv. Retour
2 Aix, David, 1705, in-8°, pag. 10. Retour
3 Aix, David, 1678, in-8°, pag. 28. Retour
4 Pag. 350 et suiv. Retour
5 Aix, Pontier, 1831, in-8°, pag. 94. Retour
6 Voir ci-dessus, pag. 74 Retour
7 Les Cordeliers étaient nommés
par le peuple leis frairés menouns. Retour