UOIQUE
cette rue n'ait guère que deux siècles d'existence, elle est néanmoins
connue sous cinq ou six noms différents : rue de Notre-Dame des Anges
ou de Notre-Dame d'Embrun, à cause d'une petite chapelle détruite
en 1750, qui était située au coin de cette rue en entrant dans
celle de Saint-Jean ou d'Italie, fondée vers le milieu du XIVe siècle,
par Raymond d'Agoult, grand-sénéchal de Provence, et bénie
en 1368, par Giraud ou Gérard de Posilhac, archevêque d'Aix, puis
réparée en 1555, par Balthazar de Jarente, archevêque d'Embrun
et grand président de la chambre des comptes de Provence ; rue de la
Torse ou du Tholonet, parce qu'elle fut bâtie sur l'ancien chemin qui
conduisait au ruisseau de la Torse et à la terre seigneuriale du Tholonet
; rue du Louvre, du nom d'une grande et magnifique hôtellerie construite
vers le milieu de sa ligne méridionale, à l'enseigne du Louvre
; rue des Pénitents-Blancs, à cause des Pénitents de cette
couleur, établis en 1573, dans l'église des Grands-Carmes, d'où
on les appelait les Pénitents des Carmes, et transférés
en 1654 dans cette rue où ils occupent encore leur église ; enfin,
rue de l'intendance, parce que depuis environ un siècle avant la révolution,
MM. Le Bret, père et fils, et après eux, MM. des Galois de La
Tour, père et fils, tous les quatre successivement intendants de Provence
et premiers présidents du parlement, y avaient fait leur habitation dans
l'ancien hôtel du Louvre.
Lorsqu'on a renouvelé, il y a moins de trente ans, les écriteaux
portant les noms des rues, on a donné à celle-ci le nom de rue
du Louvre, tandis qu'elle était bien plus connue sous celui de l'Intendance,
qu'on aurait beaucoup mieux fait, par conséquent, de lui donner définitivement.
On aurait par là, ce nous semble, conservé deux souvenirs à
la fois : celui d'un établissement important que la ville d'Aix a perdu
sans retour ; et celui du dernier intendant, grand et intègre magistrat
qui a joui pendant tout le cours de sa vie, de l'estime des honnêtes gens,
témoin cette médaille que l'assemblée des communes de Provence
lui décerna en 1788, et sur laquelle on lit cette inscription, bien remarquable
pour le temps, ainsi que le dit la Biographie universelle de Michaud
: 1
LE TIERS-ETAT DE PROVENCE
A CHARLES-JEAN-BAPTISTE DES GALOIS DE LA TOUR,
INTENDANT DU PAYS,
SON AMI DEPUIS PLUS DE QUARANTE ANNÉES.
En vain les révolutionnaires, qui préludaient
au renversement de l'autel et du trône, brisèrent-ils plus tard
les coins de cette médaille et abreuvèrent-ils M. de La Tour de
calomnies et d'outrages, sa mémoire leur a survécu pure et sans
tache, tandis que la leur.....
Le 30 juin 1777, M. de La Tour eut l'honneur de recevoir dans son hôtel
Monsieur, dit le comte de Provence, frère du roi Louis XVI, qui a depuis
été roi, sous le nom de Louis XVIII. Ce prince arriva sur les
sept heures du soir et fut harangué par M. l'assesseur, à la porte
de la ville, qu'on avait construite au bout du Cours. Après la harangue,
il descendit de son carrosse et on lui présenta le dais qu'il refusa.
Il se rendit à pied à l'Intendance, marchant seul et suivi par
les consuls et assesseur, la noblesse et les seigneurs de sa suite, le conseil
de ville et une foule immense de peuple qui faisait retentir l'air de ses acclamations.
Le corps des marchands, à cheval et en uniforme rouge, et le corps des
épiciers, aussi à cheval et en uniforme bleu, étaient allés
à la rencontre du prince, et les deux bataillons du régiment d'Artois
bordaient la haie de chaque côté, depuis l'Intendance jusqu'à
l'entrée de la ville. Des guirlandes en buis liaient les arbres du Cours
de l'un à l'autre, et toutes les fenêtres étaient garnies
de dames richement parées, poussant des cris de joie et de vive Monsieur
! qui touchèrent vivement ce prince.
A dix heures du soir, il vint se promener sur le Cours, toujours aux acclamations
d'un peuple immense, avide de contempler ses traits. C'est ainsi que trente-sept
ans plus tard, nous avons vu son auguste frère, Mgr le comte d'Artois,
qui a été depuis l'infortuné Charles X, accueilli dans
nos murs avec un enthousiasme qui tenait du délire, par une population
toujours heureuse quand elle peut faire éclater son amour pour le sang
de saint Louis et d'Henri IV..... Le lendemain, à midi, Monsieur
alla entendre la messe dans l'église des Prêcheurs (aujourd'hui
Paroisse Sainte-Magdeleine) et vers les quatre heures du soir, il partit pour
Marseille.
Le 10 juillet, dans l'après-midi, il retourna, venant de Toulon, et entra
dans la ville par la porte Saint-Jean. On voulut lui faire voir les jeux de
la Fête-Dieu, l'Abbadie, la Bazoche et le Lieutenant de Prince ; à
cet effet, il eut la complaisance de se rendre, à six heures, à
l'hôtel de M. du Poët, conseiller au parlement, situé à
la tête du Cours en face de la grande allée. Ce spectacle l'amusa
beaucoup, à ce que rapportent les mémoires du temps, et il distribua
aux jeux vingt louis en témoignage de sa satisfaction. De là,
il vint à la comédie, et plus tard au bal paré qui fut
donné à son occasion et où l'on remarqua les costumes les
plus riches et les plus brillants.
Le lendemain matin, il alla entendre la messe à Saint-Sauveur, traversant
la ville à pied, au milieu de la foule toujours plus empressée
autour de lui ; après quoi il monta en voiture et sortit de la ville
par la porte Notre-Dame, pour aller dîner à Cavaillon.
Pendant son séjour à Aix, en allant et en venant, il avait mangé
en public, ayant derrière lui M. de La Tour occupé à le
servir, la serviette sous le bras. Le prince était placé seul
au bout de la table, et les personnes de sa cour qui mangeaient avec lui, ainsi
que M. le marquis de Méjanes, alors premier consul d'Aix, étaient
assises sur les deux côtés et à l'autre bout de la table,
au nombre d'une quinzaine environ. Nous avons oublié de dire que le jour
de son arrivée, il avait reçu, à l'Intendance, les harangues
du parlement, de la cour des comptes, aides et finances, et de toutes les autres
autorités.
Mgr Etienne-Jean-Baptiste-Louis des Galois de La Tour, fils aîné
du dernier intendant de Provence dont nous venons de parler, naquit dans cet
hôtel le 2 juin 1750, et fut reçu conseiller au parlement d'Aix
en 1770, à l'âge de vingt ans. Ayant embrassé plus tard
l'état ecclésiastique, il fut nommé, en 1788, à
l'évêché de Moulins, érigé à cette
époque et dont il ne prit jamais possession à cause des troubles
de la révolution qui ne tardèrent pas à éclater.
En 1817, il fut pourvu de l'archevêché de Bourges, fut sacré
en cette qualité deux ans après et mourut à Bourges le
20 mars 1820, ayant vécu trop peu de temps pour accomplir le bien qu'il
méditait. Vers la fin de 1816, il avait passé à Aix, chargé
de l'honorable mission du roi Louis XVIII, de ramener en France les dépouilles
mortelles des tantes du roi, Mesdames Adélaïde et Victoire de France,
filles de Louis XV, mortes à Trieste en émigration en 1799. A
leur passage à Aix, une messe solennelle de Requiem fut chantée
à leur intention dans l'église métropolitaine de Saint-Sauveur,
à laquelle assistèrent toutes les autorités constituées,
les deux corps des princesses défuntes présents, ainsi que M.
l'abbé de La Tour, ancien aumônier de Mesdames.
En 1808 ou 1809, sous la mairie de M. de Saint-Vincens, quelques réparations
furent faites dans l'ancien hôtel de l'Intendance. En abattant un vieux
tuyau de cheminée adossé au mur d'une mansarde abandonnée
depuis longues années, on découvrit le squelette d'un corps humain
placé debout le long de ce tuyau. Ce squelette était-il celui
d'un voyageur mort misérablement par suite d'un crime dans l'hôtellerie
du Louvre, ou celui d'un criminel d'Etat qu'on aurait fait disparaître
plus tard clandestinement par ordre supérieur ? C'est ce qu'il était
impossible de savoir lors de cette découverte et ce qu'on ne saura probablement
jamais. L'anecdote n'en est pas moins certaine et très peu de personnes
en eurent connaissance à cette époque.
L'avant-dernière maison de cette rue, à droite en montant et sur
la même ligne que l'ancien hôtel du Louvre, puis de l'Intendance,
est celle où est né, le 13 décembre 1802, Mgr Joseph-Hippolyte
Guibert, d'abord vicaire-général d'Ajaccio, préconisé
évêque de Viviers le 24 janvier 1842, et sacré à
Marseille le 6 mars de la même année, lequel occupe très
dignement aujourd'hui le siége que la Providence lui a confié.
1 Tome XLVI, pag. 346 et 347. Retour