A
salle de l'Opéra a donné son nom à cette rue où
elle est située et qu'on appelait auparavant la rue du Boulevard, quoiqu'il
y en eut deux autres de ce nom, et quelquefois aussi la rue des Petites-Maries,
nous dirons bientôt pourquoi. Cette salle fut d'abord destinée,
en 1660, à un jeu de paume, où l'on construisit un théâtre
vers les premières années du XVIIIe siècle au plus tôt,
et l'on ignore absolument en quel lieu se représentaient, avant cette
époque, les chefs-d'uvre de la scène française. Ce
théâtre menaçait ruine en 1756 et l'autorité en interdit
l'entrée au public. Un architecte, nommé Joseph Routier, qui vivait
encore de nos jours dans un âge très avancé, et à
qui appartenait ce local, se chargea d'y faire bâtir à ses frais
une nouvelle salle de spectacle, moyennant certaines conditions dont il traita
avec la ville. C'est la même salle qui subsiste aujourd'hui sur la ligne
septentrionale et vers le milieu de la rue. 1
Elle est petite, mais suffisante pour la population, excepté dans quelques
cas extraordinaires et très rares. Les places y sont si bien ménagées
et disposées, qu'on voit et qu'on entend de partout ce qui se passe et
ce qui se dit sur la scène ; mais elle manque d'une entrée convenable
sur la rue, à quoi il sera facile de remédier, à peu de
frais et quand on le voudra, en abattant quelques maisons situées entre
cet édifice et la rue des Jardins, où l'on pourrait construire
une petite place commode et agréable.
Avant d'aller plus loin et à l'occasion de cette salle de spectacle,
nous parlerons de trois auteurs comiques qui ont vu le jour à Aix, 2
mais dont nous ne saurions indiquer la rue dans laquelle ils sont nés.
Garpard Zerbin, fils de Bernard Zerbin, procureur au siége, 3
naquit en 1590, et cultiva de bonne heure la poésie provençale
à l'égal de Claude Brueys 4
son compatriote. On a de lui quelques comédies où il se permet
un peu trop de liberté dans les images et dans les expressions, et qui,
par cette raison, ne peuvent être mises entre les mains et sous les yeux
de toute sorte de lecteur. 5
Les exemplaires en sont aujourd'hui d'une excessive rareté et se payent
à des prix exorbitants.
Marie-Emilie Mayon, née le 22 octobre 1756, morte à
Paris le 29 août 1812, avait composé un assez grand nombre de poésies
légères recueillies, en 1790, en deux volumes in-12, ou disséminées
depuis dans les Almanachs des Muses, et quelques comédies qui
ne sont pas sans mérite, mais qui eurent besoin, pour être mises
au théâtre, de l'indulgence qui est toujours accordée aux
auteurs de son sexe. Elle avait épousé un seigneur allemand nommé
le baron de Princen, qui lui avait laissé de la fortune ; mais cette
fortune fut bientôt dissipée, dit-on, lorsque Marie-Emilie, devenue
veuve, eut épousé en secondes noces, un brigadier des gardes du
corps nommé de Montanclos, ce qui la réduisit à vivre du
produit de ses ouvrages. La malheureuse reine Marie-Antoinette avait de l'amitié
pour elle et avait même tenu sur les fonts de baptême un fils né
de son second mariage. " C'était, dit la Biographie universelle
de Michaud, une femme d'une sensibilité douce et d'un esprit orné
: une aimable simplicité caractérisait son talent. " 6
Honoré-Antoine Richaud-Martelly, né le 27 octobre 1751, mort à
Marseille le 8 juillet 1817. Ayant pour le théâtre un talent décidé,
qu'il avait développé et mûri en jouant la comédie
de société, il se fit comédien et parut avec éclat
dans diverses villes, notamment à Marseille et à Bordeaux où
il était fort aimé du public 7
qui le nommait le Molé provençal. Il est auteur de plusieurs comédies
représentées dans le temps avec succès, notamment celle
des Deux Figaro, et d'un recueil de Fables nouvelles qu'on lira
toujours avec plaisir. 8
Revenons à la salle de spectacle. Dans la soirée
du 16 septembre 1771, le célèbre acteur tragique Lekain y remplissait
le rôle de Tancrède, dans la tragédie de ce nom, la seule
représentation qu'il ait jamais donnée à Aix, lorsqu'un
orage survenu subitement et tel qu'on n'en avait jamais vu de pareil de mémoire
d'homme, inonda en peu de moments la ville et la campagne. Les cuves en bois
dans lesquelles on foule les raisins et que nous nommons des fouloirs,
placées dans les quartiers élevés de la ville, tels que
ceux de Saint-Sauveur, de Bellegarde et de la Plate-Forme, furent entraînées
en un instant dans les rues inférieures et jusque sur le Cours par la
violence et la rapidité de l'eau qui tombait du ciel; les champs furent
ravagés et sillonnés dans tous les sens, et un malheureux charretier,
qui se trouvait au haut de la montée dite d'Avignon, fut transporté
avec sa charrette jusqu'à la rivière de l'Arc où il périt
misérablement, ainsi qu'un de ses mulets. Cependant on ne se douta de
rien dans la salle, et les spectateurs venus tous sans parapluies, purent sortir
sans en avoir besoin et bien étonnés de la quantité d'eau
qu'ils rencontrèrent sous leurs pas. C'est ce que les vieilles gens nomment
encore aujourd'hui le déluge de Lekain.
Le spectacle ne s'est jamais soutenu à Aix que pendant l'hiver et bien
souvent les directeurs n'ont pas trouvé à y faire leurs affaires.
Avant la révolution, le public y était plus connaisseur et, par
conséquent, plus difficile qu'il ne l'est à présent. Les
chefs-d'uvre de Corneille, de Molière, de Racine et quelques autres,
avaient seuls le droit de lui plaire et même fallait-il qu'ils fussent
joués par de bons acteurs. Les simples artisans venaient au parterre
pour entendre déclamer les plus belles scènes qu'ils savaient
eux-mêmes par cur et sifflaient les passages mal rendus.
On donnait ensuite un opéra-comique ou toute autre petite pièce.
Les dames fréquentaient le théâtre plus qu'aujourd'hui et
occupaient seules le devant des loges où brillaient leurs riches parures
: les dames de qualité aux premières, les femmes des bourgeois,
des gens de palais et des marchands aux secondes, et celles des artisans aux
troisièmes. Malheur à l'homme impoli qui eut souffert qu'une dame
fût assise derrière lui et ne lui eût pas cédé
sa place aussitôt. Le parterre eut bientôt fait justice, par ses
cris, d'une pareille inconvenance.
Ce n'est plus cela maintenant. Les premiers venus occupent les meilleures places,
de quelque état qu'ils soient, et l'humble savetier en veste pourrait
s'asseoir librement à côté d'une marquise ou même
devant une duchesse, s'il passait encore des duchesses à Aix. Aussi les
femmes ne vont-elles plus que rarement au spectacle, si ce n'est un bien petit
nombre qui semblent se cacher dans quelques loges particulières. Les
mélodrammes les plus noirs et les plus invraisemblables ont remplacé
les hautes conceptions de Corneille, les tableaux si vrais de Molière,
les tendres émotions de Racine, et sont plus applaudis que ne le furent
jamais Ces admirables peintures du cur humain. Le grand-opéra charme
quelquefois, il est vrai, les oreilles des amateurs de musique; mais il est
si souvent mal exécuté ! Bref, le léger et gai vaudeville
est le seul aujourd'hui où l'on trouve véritablement à
se divertir ; mais quel fruit en a-t-on retiré au sortir de là
? Aucun.
L'un des plus spirituels fabulistes de notre temps et l'un de ceux qui ont le plus approché de l'inimitable La fontaine, a vu le jour dans la maison qui suit immédiatement la salle de spectacle et les bâtiments adjacents à cette salle, en montant vers la Plate-Forme : M. Bressier (André-Clément-Victorin), longtemps directeur des domaines dans le département de la Côte-d'Or et membre de l'académie des sciences, belles-lettres et arts de Dijon. Né le 5 septembre 1766, il conserve, dit-on, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, l'aimable gaîté dont il fait preuve dans ses Fables et Poésies diverses desquelles il a donné au public plusieurs éditions constamment couronnées de succès unanimes et flatteurs.
La seconde maison qui suit celle où est né M.
Bressier et qui porte aujourd'hui le n° 25, appartenait, dans le siècle
dernier, aux Seguiran, branche cadette de ces anciens Seguiran, seigneurs de
Vauvenargues, d'Auribeau, de Bouc et autres terres, qui avaient fourni à
la ville d'Aix une foule de personnages distingués dans l'épée
et dans la robe, notamment quatre premiers présidents de la cour des
comptes, de père en fils, lesquels s'étaient fondus dans la maison
d'Albertas. 9
Les Seguiran dont il est ici question, maintenant éteints comme les autres,
avaient produit un évêque d'un grand mérite,
Pierre de Seguiran d'abord jésuite, puis évêque de Nevers,
sacré le 5 janvier 1783, mort à Nevers le 1er mai 1789. Il avait
fait preuve de talents dans les deux assemblées des notables du royaume
où le malheureux Louis XVI l'avait appelé en 1787 et 88.
Dans la même maison est né, le 19 février 1778, notre excellent
ami, M. le comte Joseph-Marie Portalis, aujourd'hui pair de France, vice-président
de la première chambre législative du royaume, premier président
de la cour de cassation, grand-croix de la Légion-d'Honneur, membre de
l'Institut, etc., que nous plaçons, sans crainte d'être contredit,
à la tête des premières notabilités actuelles de
notre ville.
Son illustre père, 10
après avoir fait ses études à l'université d'Aix,
se fixa dans cette ville et prit, à l'âge de dix-neuf ans, une
place honorable dans le barreau où se trouvaient alors tant de célébrités
et dont il devint bientôt l'un des plus beaux ornements et l'une des plus
vives lumières. Peu d'années ensuite, il épousa la fille
11 de l'un
de ces avocats distingués et devint ainsi le beau-frère d'un autre
avocat plus distingué encore, que ses talents devaient placer un jour
à côté de M. Portalis. Celui-ci exerça peu après
les fonctions d'assesseur d'Aix, procureur du pays de Provence, pendant les
années 1779 et 1780, et débuta par là dans cette longue
suite de hauts emplois qu'il a remplis avec tant d'éclat jusqu'à
sa mort, arrivée à Paris le 25 août 1807, tandis qu'il était
ministre des cultes. Son corps fut enseveli au Panthéon et sa statue
en pied et en marbre a été inaugurée avec celle de M. le
comte Siméon, son beau-frère, le lundi 8 novembre de cette année
1847, en avant du péristyle du palais de justice d'Aix, en présence
de toutes les autorités constituées et d'un immense concours de
citoyens empressés de rendre hommage à la mémoire de ces
deux illustres compatriotes. Chacun connaît la part qu'ils ont prise à
la rédaction du Code civil qui nous régit et à la plupart
des lois sur lesquelles repose aujourd'hui l'édifice social en France.
La sincère amitié qui nous lie dès le berceau avec l'honorable
comte Portalis, ne nous permettant pas de faire ici son éloge, nous dirons
seulement que dans quelque haut rang où la fortune l'ait placé,
soit qu'il ait rempli les fonctions de premier secrétaire d'ambassade
à Londres ou à Berlin, de maître des requêtes et de
conseiller d'État, chargé de la direction générale
de l'imprimerie et de la librairie, soit qu'il ait été premier
président de la cour d'Angers, garde-des-sceaux ministre secrétaire-d'État
au département de la justice, enfin premier président de la cour
de cassation et vice-président de la chambre des pairs, 12
il n'a jamais cessé de nous traiter comme un frère et de nous
donner des témoignages de son affection, soit dans sa correspondance,
qui date de plus de cinquante ans, soit de vive voix chaque fois qu'il vient
en Provence avec son aimable famille.
A l'extrémité supérieure de la ligne méridionale de cette rue de l'Opéra, fut transféré, en 1671, le second monastère des Visitandines, appelées vulgairement les Petites-Maries, dont le nom a été donné quelquefois à la rue même, et qui a subsisté jusqu'à la suppression des couvents de moines et de religieuses en 1792. Nous verrons plus bas que celles-ci avaient été fondées, en 1652, dans la rue du Buf. Ce fut pour leur procurer un jardin plus vaste qu'il n'eût été, que la ville leur céda quelques toises de terrain en reculant le rempart du côté du levant, là où est aujourd'hui l'usine à gaz, ce que le bon M. de Haitze compte pour le dixième agrandissement de la ville. 13
Au-dessous de l'ancien couvent des Petites-Maries, se trouvent deux grands et superbes hôtels qui rappellent ces belles constructions du Cours dont nous avons parlé plus haut. Le premier, qui fait le coin de la rue du Boulevard-Saint-Jean et que les marquis de Grimaldi-Regusse occupent depuis environ un siècle, fut bâti sur les dessins du célèbre Puget, vers 1680, par les Laurans, seigneurs de Peyrolles, cadets des marquis de Brue et de Saint-Martin, 14 et qui avaient, comme ceux-ci, fourni plusieurs magistrats recommandables au parlement.
Le second, qui suit immédiatement en descendant vers le Cours, fut construit, peu d'années après le précédent par les Arlatan de Montaud, marquis de la Roche, barons de Lauris, qui l'ont occupé jusqu'à leur extinction en mâles en 1837. Cette famille avait également produit une foule de magistrats tant à la cour des comptes qu'au parlement et à la cour royale d'Aix. Le dernier et spirituel président d'Arlatan-Lauris, victime du choléra qui désola cette ville, n'a laissé qu'une fille, mariée à M. le marquis de Benault-Lubières, avec lequel elle habite l'hôtel dont nous parlons.
Mais parmi les édifices qui bordent cette rue, il n'en est point de plus remarquable sans doute que l'hôtel de Lestang-Parade, bâti, vers 1650, par Jean-Louis d'Antoine, conseiller en la cour des comptes. L'aile droite ayant neuf croisées de façade du côté du levant et à laquelle était joint un vaste jardin dont l'hôtel d'Arlatan-Lauris a occupé depuis une partie, fut acquise, en 1680, par Dominique de Benault-Lubières, conseiller au parlement, et en a ainsi été détachée pendant plus de cent cinquante ans. Cette aile a donc formé à elle seule pendant très longtemps, un hôtel séparé que quatre conseillers au parlement, du nom de Benault-Lubières, marquis de Roquemartine, ont habité de père en fils, jusqu'à la révolution. Feu M. Antoine Revoil, directeur des postes, l'acheta en 1811, et c'est là qu'est née mademoiselle Louise Revoil, sa fille, femme Colet, dont toute la France connaît les aimables poésies, si fraîches et si pleines de sentiments. C'est encore là que s'est marié, en 1816, M. Pierre Revoil, peintre distingué de Lyon, cousin et gendre d'Antoine, qui y a composé une foule de tableaux de genre, dont chacun a su apprécier le mérite. C'est dans cette aile enfin qu'a habité avec son aimable famille, pendant les six années du règne de Charles X, feu M. Jean-Casimir de Seze, premier président de la Cour royale d'Aix, digne frère de l'immortel défenseur de Louis XVI. Ce savant et intègre magistrat si vivement regretté par les uns, sitôt oublié par les autres, et qui avait été si juste pour tous, nous ayant quitté à la révolution de 1830, MM. les chevaliers de Lestang-Parade ont réuni de nouveau l'hôtel de Lubières au principal corps de logis qu'ils possédaient déjà, et duquel il est temps de parler.
La porte cochère qui fait face à la rue des Jardins,
donne entrée dans une cour au fond de laquelle est situé l'hôtel,
ayant de chaque côté une aile avançant sur la rue de l'Opéra
; le tout édifié en pierres de taille, et orné de pilastres
et d'entablements d'une très belle architecture. Celle-ci est assez semblable
à celle de la cour intérieure de l'Hôtel-de-Ville, construit
à la même époque, en sorte que, faute de documents plus
précis, nous n'hésitons pas à penser que les mêmes
architectes et sculpteurs sont les auteurs de l'un et de l'autre hôtel.
Ce seraient donc Pierre Pavillon, Jean-Claude Rambot et Jacques Fossé,
ce dernier, aïeul maternel des Vanloo, très habiles ouvriers de
ce temps-là, qui auraient bâti l'hôtel d'Antoine, comme ils
ont bâti l'Hôtel-de-Ville d'Aix, de 1656 à 1668, ainsi que
nous l'avons dit ailleurs. 15
Les appartements en sont dans les plus belles proportions, et au midi de l'hôtel
se trouve un autre jardin indépendant de celui du levant, affecté
à l'hôtel de Lubières.
Henri d'Antoine-Venel, fils de Jean-Louis, et comme lui conseiller en la cour
des comptes, vendit ce principal corps de logis, en 1700, à Honoré-Henri
de Piolenc, président au parlement, depuis premier président de
celui de Grenoble, et frère de deux grands-prieurs de Saint-Gilles, de
l'ordre de Malte. 16
Cette puissante maison de Piolenc, féconde en magistrats d'un haut mérite
et actuellement éteinte, posséda cet hôtel jusqu'en 1762,
époque à laquelle elle le revendit à Antoine-Joseph de
Lestang-Parade, fils d'un doyen du parlement, frère d'un autre grand-prieur
de Saint-Gilles, 17
premier consul d'Aix, procureur du pays de Provence en 1764. 18
Ses petits-fils, MM. les chevaliers de Lestang-Parade, possèdent aujourd'hui
son hôtel auquel ils ont réuni celui de Benault-Lubières,
comme nous l'avons dit plus haut.
M. le chevalier Alexandre, l'un d'eux , amateur distingue des beaux-arts, y
a placé une magnifique collection de tableaux qui, réunie à
ceux qu'il tient de ses pères, forme un cabinet de peinture des plus
curieux de cette ville. La description en a été donnée
dans le Mémorial, 19
par M. C. Gaszynski ; c'est pourquoi nous n'en parlerons pas plus longuement.
Mais nous ne pouvons nous empêcher de citer un morceau qui, s'il n'était
pas des meilleurs sous le rapport de l'art, était certainement un des
plus intéressants, surtout pour les habitants d'Aix.
C'est une peinture du bon roi René, représentant l'adoration des
rois à Bethléem. Elle est sous verre, sur une toile très
légère et les couleurs on sont encore bien vives. La sainte Vierge
occupe le centre du tableau, tenant l'Enfant-Jésus sur ses genoux. A
sa droite sont deux des mages, l'un prosterné devant le sauveur du monde,
l'autre debout derrière le premier. Le troisième mage est debout
à la gauche de la sainte Vierge. Celle-ci est revêtue d'une tunique
verte et d'un manteau bleu, avec un voile blanc qui entoure la tête et
descend sur la poitrine. Le premier des mages est enveloppé d'une large
robe diaprée d'or et de gueules, surmontée d'un camail blanc qui
lui couvre les épaules et qui se termine par un petit capuchon rabattu
de couleur rouge. L'autre mage, en manteau rouge, porte une barbe noire très
épaisse, et le roi maure un manteau de couleur verte ainsi que le turban
qu'il a sur la tête. De la main droite il soulève une espèce
de couronne qu'il portait apparemment sur le turban. La tête de la Vierge,
entourée d'une auréole, repose sur un fond d'or. La hauteur totale
du tableau, non compris le cadre, est de trente-six centimètres et sa
largeur de vingt-huit. Tout autour est peint un galon d'or de dix-huit millimètres
de largeur sur lequel est écrite en caractères gothiques et en
rouge, cette inscription tirée de l'office de la sainte Vierge. 20
BEATA ES VIRGO MARIA QUAE DOMINUM PORTASTI CREATOREM
MUNDI :
GENUISTI QUI TE FECIT ET IN AETERNUM PERMANES VIRGO.
Cette précieuse peinture appartenait, au moment de la
révolution, aux religieuses dominicaines du monastère royal de
Notre-Dame de Nazareth, de cette ville d'Aix, appelées plus communément
les dames de Saint-Barthélemy, aux devancières desquelles le roi
René l'avait donnée vers le milieu du XVe siècle.
Ces bonnes religieuses, prévoyant la destruction prochaine de leur couvent,
remirent ce tableau, en 1790 ou 91, au savant P. Pouillard, religieux Grand-Carme
de cette ville, grand amateur de peinture, de médailles et d'antiquités,
depuis conservateur du musée de tableaux et de la bibliothèque
de S. E. le cardinal Fesch, enfin sacristain de la chapelle royale des Tuileries.
21 Le P. Pouillard,
obligé d'émigrer lors de la persécution des prêtres,
le remit à son tour à M. Sallier, autre amateur non moins distingué,
dont le riche cabinet a fait pendant trop peu de temps l'ornement de notre ville.
22
M. Sallier a écrit de sa main, au dos du tableau, ces mots : Peinture,
ayant appartenu au Père Pouillard, authentique du roi René.
Il le céda depuis à M. Porte qui l'a mentionné dans la
première édition de son intéressant ouvrage d'Aix ancien
et moderne 23,et
des mains duquel il a passé plus tard dans celles de M. le chevalier
Alexandre de Lestang-Parade.
C'est à l'obligeance de ce dernier que nous devons de posséder
aujourd'hui ce tableau dont il nous a fait présent avec une générosité
bien noble et bien rare, connaissant nos goûts et particulièrement
notre respect religieux pour tout ce qui tient au bon roi René. Qu'il
veuille en recevoir de nouveau ici nos publics et sincères remercîments.
24
Nous aurions dû dire, avant d'en venir à cette
ligne méridionale de la rue de l'Opéra, que la dernière
maison de la ligne opposée, ou la seconde après celle où
est né M. le comte Portalis, appartenait, peu d'années avant la
révolution, à Jean- Pierre Désorgues, avocat d'un grand
mérite, assesseur d'Aix en 1768 et 69, qui y périt misérablement
au mois d'avril 1784, à l'âge de soixante-cinq ans. Ses domestiques
ne pouvant ouvrir un contrevent imbibé par une forte pluie tombée
quelques jours auparavant, il monte hardiment sur l'appui de la fenêtre,
donne un violent coup de genou au contrevent qui cède à ce choc
et laisse tomber M. Désorgues sur le pavé, où il se brise
en mille pièces.
Le malheureux devait donner ce jour-là chez lui un splendide et nombreux
repas, à l'occasion de la prochaine réception de son fils aîné
comme conseiller à la cour des comptes. Tout fut contremandé à
l'instant, les roses s'étant changées subitement en cyprès,
et la réception n'eut lieu qu'un mois après sans aucun faste.
Joseph-Théodore Désorgues, son second fils, né dans cette
maison le 9 novembre 1763, fut plus connu par son extrême méchanceté
que par son talent pour la poésie française et italienne. Il était
bossu et d'un républicanisme très ardent, comme on peut en juger
par une foule de pièces de vers qu'il avait fait imprimer. On trouve
la liste de ses ouvrages imprimés et manuscrits, dont les meilleurs sont
un poème sur les Transtéverins et un Hymne à
l'Être suprême, dans la Biographie universelle de Michaud,
25 où
il est dit qu'il mourut à Charenton en 1808. Il y avait été
renfermé pour avoir composé une assez plate chanson qui se terminait
par ces vers :
Oui, le grand Napoléon
Est un grand caméléon.
ou, suivant d'autres, pour un calembourg plus mauvais encore. Etant dans un café à manger une orange, il en jeta l'écorce par la fenêtre en disant assez haut : - J'aime les oranges, mais je déteste l'écorce (les Corses). - C'était à l'époque où Bonaparte se faisait proclamer premier consul de la république, et il ne fallait pas plus que ce méchant propos pour perdre le mauvais plaisant.
1 La ville l'a acquise sous la restauration. Retour
2 Voyez plus haut, pag. 105, sur David-Augustin Brueys, autre auteur comique. Retour
3 Celui-ci fit imprimer un petit ouvrage de sa façon, intitulé : Tarife sur le desbordement ou surhaussement de la monoye advenu au pays de Provence, ès ans 1590, 1591, 1592, 1593, avec la réduction ou juste prix que doit estre payé par ceux qui ont emprunté durant ce temps, par M. Bernard Zerbin, procureur au siége d'Aix.- C'est un tableau de dépréciation pareil à ceux qui ont paru de notre temps, après la chûte des assignats, etc.- Il paraît qu'il en fut fait plusieurs éditions dont celle que nous possédons reveue et corrigée par l'auteur, est imprimée à Aix, par Jean Courraud, imprimeur de ladicte ville, CD D XCVII, 20 feuillets in-8°. Retour
4 Nous avons parlé du poète Claude Brueys dans notre 1er vol. pag. 77, not. 2. Retour
5 En voici le titre : La perlo dey muzos et coumedies prouvensalos ; per M. Garpard Zerbin avoucat. A Ays, aquo de Jean Roize, à la plaço dey Préchusr, M DC LV ; petit in-16, de 390 pages. Retour
6 Biographie universelle, tom. XXIX, pag. 451. Retour
7 Feu M. le premier président de Seze nous a dit plusieurs fois avoir été fort lié avec lui à Bordeaux, avant la révolution, et regretta beaucoup de ne plus le retrouver à Aix lorsqu'il y vint lui-même en 1824. Retour
8 Imprimées à Bordeaux, chez P. Philippot, 1788, 8 feuilles in-12. Retour
9 Voyez notre 1er vol. pag. 43. Retour
10 Jean-Etienne-Marie Portalis, né au Beausset le 1er mai 1746. Ayant quitté le séjour de la Provence avec sa famille, à cause des troubles, dans les commencements de l'année 1792, il se réfugia d'abord à Lyon, ensuite à Paris, et fut nommé, après le règne de la Terreur, membre du conseil des Anciens en l'an IV ; condamné à la déportation le 18 fructidor an V ; conseiller d'Etat en l'an IX, sous le consulat de Bonaparte, etc. ; enfin, ministre des cultes sous l'empire. Voyez le Moniteur universel du 28 et du 30 août 1807 ; la Biographie universelle de Michaud, tom. XXXV, pag. 450 et suiv. ; la Notice sur la vie de J.-E.-M. Portalis, l'un des quarante de l'Académie française, Paris, Egron, mai 1820 ; l'éloge du même, par M. le baron d'Arbaud-Jouques, alors sous-préfet d'Aix, prononcé à l'Hôtel-de-Ville d'Aix, etc., etc. Retour
11 Marguerite-Françoise Siméon, fille de Joseph-Sextius et sur de Joseph-Jérôme, desquels nous avons parlé plus haut, pag. 30 et 31. C'était la plus excellente amie de notre mère, et sa mémoire nous sera toujours précieuse à cause du tendre intérêt qu'elle nous a conservé jusqu'à sa mort, arrivée à Gennevilliers, près de Paris, le 25 août 1813, à pareil jour où elle avait perdu son mari, six ans auparavant. Retour
12 M. le comte Portalis est aujourd'hui le seul membre de la chambre des pairs appartenant à la ville d'Aix, qui en avait fourni une douzaine depuis la création de cette chambre en 1814, savoir: MM. le marquis d'Albertas ; de Bausset-Roquefort, archevêque d'Aix ; le comte de Félix du Muy ; le cardinal d'Isoard, archevêque d'Auch ; le chevalier Amédée Jaubert ; Morel-Villeneuve de Mons, archevêque d'Avignon ; le comte Portalis, qui donne lieu à cette note ; le duc de Sabran ; le comte Siméon père ; le vicomte Siméon fils ; le marquis de Suffren Saint-Tropez et le marquis de Villeneuve-Vence ; preuve incontestable de la décadence toujours croissante de la ville d'Aix, à qui il ne restera bientôt que des souvenirs si le gouvernement n'y porte remède. Retour
13 Aix ancienne et moderne, manuscrit, chap. II, des Agrandissements de la ville. Retour
14 Voyez ci-dessus, pag. 94, et ci-après, rue Saint-Sauveur ou des Quatre-Dauphins. Retour
15 Tom. 1er, pag. 85, où l'on a imprimé par erreur Rambaut au lieu de Rambot. Retour
16 Joseph-François et Henri-Augustin de Piolenc, nés à Aix, l'un en 1684, l'autre en 1687. Retour
17 Antoine de Lestang-Parade, né à Aix en 1746, mort en 1786. Retour
18 Ce seigneur, très affable avec tous comme l'ont été constamment ceux de sa maison, était d'une grande naissance. Il faisait remonter son origine à un Podestat d'Arles, lorsque cette ville se gouvernait en république au XIIIe siècle * et le marquis de Castellane-Majastre, son prédécesseur, en qualité de premier consul d'Aix, avait dit en le proposant au conseil de ville, à qui appartenait la nomination des procureurs du pays : " Si j'en connaissais un plus noble que lui je le nommerais. " Paroles de très grand poids dans la bouche d'un Castellane.
* Voyez tous les nobiliaires de Provence et le Discours Généalogique de la maison de Lestang dressé et composé par moi Jacques de Lestang, et adressé à Guillaume et Joseph de Lestang, mes enfants, l'an 1655. Aix, sans date, in-12. Retour
19 Mémorial d'Aix du 13 juin 1841. Retour
20 Matines, IIe leçon. Retour
21 Jacques-Gabriel Pouillard, né à Aix, le 31 décembre 1751 , mort à Paris, le 3 août 1823. Voyez la Notice Biographique. par M. Emeric-David insérée dans le Moniteur universel du 23 août 1823. Retour
22 Voyez au tom. 1er, pag. 512 et 513. Retour
23 Première édition, pag. 150. Retour
24 M. le comte de Quatrebarbes a fait lithographier cette charmante peinture, pour la joindre à son édition des Oeuvres complètes du roi René, tom. 1er, pag. 44. Retour
25 Tome XI, pag. 218.
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