NCIENNEMENT
elle s'appelait la rue de la Couronne, et elle était ainsi nommée
parce qu'il y avait eu là une hôtellerie dite le Logis de la Couronne
que Louis III d'Anjou, roi de Naples et comte de Provence, donna à Pierre
de Beauvau gouverneur et lieutenant-général, en le chargeant de
faire vendre les biens meubles et immeubles de Poncet et Rosetto, condamné
à perdre la tête par la cour majeure pour crime de lèze-majesté,
en 1429.
A l'extrémité orientale de cette rue, fut bâtie, un siècle
plus tard par la famille Papassaudi, une grande et belle maison qui a aujourd'hui
son entrée dans la rue de la Miséricorde, et dont une partie qui
en a été démembrée fait face actuellement à
la place Saint-Honoré. On y voit encore dans un vestibule les armes des
Papassaudi, sculptées sur une pierre de quelques pieds en carré.
Le logis de la Couronne ayant disparu, on s'accoutuma peu à peu à
donner à cette rue le nom de Papassaudi, bien que la famille de ce nom
se soit éteinte depuis plus de deux siècles, dans la personne
de Honorade de Papassaudi, laquelle avait épousé Gaspard, baron
d'Ansouis, de l'illustre maison de Sabran.
Vers le milieu de la ligne méridionale de cette rue,
se trouve une autre grande maison qui appartenait, au moment de la révolution,
aux Meyronnet, barons de Saint-Marc, et qui était, à la fin du
XVIe siècle, à la famille Pignoli, éteinte peu après,
mais dont le souvenir mérite d'être conservé, à cause
du noble dévoûment de Louis Pignoli, premier consul d'Aix en 1580.
En cette année mémorable dans notre histoire, la peste se déclara
en cette ville dès le commencement de l'été, et fit de
tels ravages que les cours souveraines furent contraintes d'en sortir, ainsi
que la majeure partie des plus notables habitants.
L'époque de l'élection consulaire étant arrivée
à la fin de septembre, les suffrages du conseil de ville se portèrent
sur Honoré de Nas, N... Castillon et Jean Bon, auxquels on donna pour
assesseur l'avocat Honoré Guiran, sieur de la Brillane. Le 1er novembre,
jour de la Toussaint, était alors celui de l'installation de ces magistrats
municipaux. L'assesseur Guiran et Bon, dernier consul, se présentèrent
seuls à la cérémonie, Nas et Castillon ayant refusé
de rentrer dans la ville dont ils étaient sortis précédemment.
Le conseil les fit inviter de se rendre à leur poste, mais inutilement
; et dans une nouvelle assemblée tenue le 28 novembre, on nomma Louis
Pignoli, premier consul, et Jean Salla, troisième consul, en remplacement
de Bon, qu'on fit monter au second rang, en reconnaissance de son zèle.
Ni lui ni Pignoli, n'étaient cependant de la qualité requise pour
occuper la première et la seconde place. " Mais cela fut faict,
disent les registres 1
pour les urgentes nécessités de la ville, lors grandement affligée
de la contagion. L'un et l'autre se montrèrent dignes de l'honorable
exception qui fut faite en leur faveur. Pignoli surtout se dévoua avec
tant d'ardeur au service des pestiférés, qu'il fut bientôt
lui-même atteint du mal sous lequel il succomba moins de quinze jours
après son entrée en fonctions. Il fut enterré dans le cimetière
de Saint-Lazare, le long de l'ancien chemin qui conduisait à Marseille,
dans le voisinage de la boucherie, au pied d'une croix de pierre abattue en
1795, et dont on voit encore une partie du massif en maçonnerie qui la
supportait ; monument qui, à notre avis, devrait être rétabli
pour perpétuer la mémoire du généreux Pignoli.
C'est pendant cette peste qui dura un an, et qui moissonna
près du tiers des habitants d'Aix, que parut un ermite italien nommé
frère Valère des Champs, de Sainte-Colombe. Les soins qu'il prodiguait
aux malades, la guérison de plusieurs d'entre eux qu'il opéra
au moyen des remèdes qu'il leur donnait, lui acquirent la plus grande
réputation. Le peuple d'Aix le considérait comme un saint. On
grava son portrait, et chacun voulut avoir son image à côté
de son lit ; on la plaça même sur l'autel de la chapelle de Saint-Eutrope,
hors la porte Bellegarde, sur la route de Pertuis. C'était un homme âgé
d'environ cinquante ans, d'une taille élevée et bien proportionné
dans tous ses membres ; il avait le nez aquilin, le regard gracieux, la barbe
longue et bien fournie ; il marchait la tête et les pieds nus et n'avait
pour tout vêtement qu'une soutane grossière qui lui descendait
jusqu'aux genoux ; enfin, il était ceint d'une corde à laquelle
pendaient un chapelet et un crucifix.
La peste ayant reparu vers la fin de l'année 1586, et une seconde fois
pendant l'été de l'année suivante, on commença a
soupçonner l'ermite d'entretenir le mal contagieux pour se faire valoir.
Il graissait, disait-on, avec des drogues de sa composition, les marteaux des
portes de certaines maisons. On observa d'ailleurs du changement dans ses murs
et ses habitudes ; on s'aperçut qu'il fréquentait des hommes accusés
de crimes et des femmes de mauvaise vie, principalement la nommée Arnaude.
On résolut de l'arrêter, mais on n'osa pas le faire publiquement,
dans la crainte d'un soulèvement, tant était grand le crédit
qu'il avait acquis dans l'esprit du peuple.
Il avait poussé l'audace jusqu'à enlever des mains des exécuteurs
dans la rue des Trois-Ormeaux, un criminel qu'on menait au supplice, et auquel
il accorda la vie de sa propre autorité. Un jour qu'il était allé
visiter les prisonniers, le guichetier eut ordre de le retenir dans les prisons,
ce qui fut fait sans bruit et sans causer le moindre tumulte. Son procès
fut instruit aussitôt, et sur les nombreuses preuves qu'on recueillit
de sa vie licencieuse, il fut condamné à être brûlé
vif, ce qui fut exécuté sur la place des Prêcheurs, le 23
décembre 1588. On rapporte qu'en allant au bûcher, ce malheureux
ne cessait de répéter ces paroles : A peccato vecchio, penitenza
nuova. Sa concubine en fut quitte pour être fustigée par le
bourreau dans tous les carrefours de la ville, pendant trois jours consécutifs.
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1 Voyez la note mise en tête du Livre rouge, aux archives de l'Hôtel-de-Ville. Retour
2 Voyez sur cet ermite tous les historiens de
Provence et d'Aix. Retour