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nom de cette rue, le seul qu'elle ait jamais porté, lui vient de ce que
deux maisons situées en face l'une de l'autre avaient été
réunies par un arceau placé en travers de la rue et qui avait
la figure d'un pont. En entrant dans cette rue par celle de la Verrerie, la
première maison qui se présente à gauche et qui a trois
façades envisageant les rues du Pont, de l'Annonciade et de Magnan appartenait
à la famille noble de Lalande, laquelle a donné un grand nombre
de syndics, de consuls et d'assesseurs à la ville d'Aix, pendant les
XV et XVIe siècles. Un Jean de Lalande, qui avait été élu
deux fois assesseur, en 1468 et 1474, avait été maître ou
instituteur de l'un des fils du roi René, ainsi que le témoigne
son épitaphe placée sur son tombeau dans l'église des Cordeliers
et que M. le président de Saint-Vincens avait copiée avant la
destruction de cette église. Voici cette épitaphe :
Hic in pace quiescit bonae memoriae vir, gloria, flos, virtus urbis Aquensis,
in illâ natus, institutus et laureatus doctor fuit egregius Johannes de
Lalanda, Jacobis filius, magister reqis filii Johannis vivus, qui migravit in
Domino sub principe reqe Renato, Anno MCCCCLXXVII mense maii ci die XXIII.
Pierre de Lalande, un de ses descendants, épousa, au mois de juin 1577,
Françoise de Fabri-Calas, tante germaine du grand Peiresc. Il mourut
subitement le lendemain de ses noces et sa veuve se remaria quelques mois après
avec le consentement de sa belle-mère et de ses belles-surs. Frère
Jean de Lalande, son oncle, chevalier de Malte, commandeur d'Aix et de Jales,
fut le dernier mâle de cette famille. Il était lieutenant et vicaire-général
du grand prieur de Saint-Gilles en 1591.
En poursuivant dans cette rue pour aller à celle des Cordeliers, on trouve
à droite un cul-de-sac 1
le long d'une maison qui appartenait, il y a trois siècles, à
la famille Audiffret dont les armes se voient encore dans le vestibule, et un
peu plus bas, la maison de la famille Gibert qui a fait tant d'honneur à
la ville d'Aix, par les personnages de mérite qu'elle a produits :
Pierre Gibert, savant théologien et canoniste, né
à Aix, le 5 octobre 1660, mort à Paris, en 1736 ; Balthazar Gibert,
son cousin, né à Aix, le 17 janvier 1662, célèbre
professeur d'éloquence, recteur de l'université de Paris mort
en 1741 ; et Joseph-Balthazar Gibert, neveu de ce dernier, né à
Aix, le 17 février 1711, membre de l'académie des inscriptions
et belles-lettres, secrétaire-général de la librairie,
et des ducs et pairs de France, mort à Paris, en 1772. Les ouvrages de
ces trois savants sont trop connus pour que nous en parlions ici ; on en trouve
d'ailleurs le catalogue dans toutes les biographies. 2
Joseph-Balthazar eut pour fils N. . . . . Gibert Desmolières, né
à Paris, et député de cette ville au conseil des Cinq-Cents,
en l'an V (1797). Son royalisme prononcé le fit proscrire à l'époque
du 18 fructidor, et il fut déporté à Sinamary où
il mourut en fort peu de temps.
Dans la soirée du 27 janvier 1812, nous vîmes dans les prisons
d'Aix, 1'un des derniers rejetons de cette honorable famille. Sur quelques indications
incertaines il nous avait fait prier d'aller le voir, croyant qu'il existait
quelque parenté entre nous. Il nous apprit qu'il s'appelait Michel-Henri
Gibert, ancien Procureur du roi à l'élection de Saumur, en Anjou.
Lors des premiers troubles de la Vendée, il avait pris parti dans l'armée
Catholique et royaliste sous les ordres du général Stofflet qui
lui avait conféré le grade de lieutenant-colonel, et il avait
combattu pendant plusieurs années contre les bleus. A l'époque
de la pacification de la Vendée, il avait été excepté
de l'amnistie, et le premier consul Bonaparte, l'avait envoyé comme prisonnier
d'Etat aux îles de Sainte-Marguerite, où il était demeuré
pendant dix ans.
La gendarmerie le reconduisait à Paris de brigade en brigade, comme un
malfaiteur, lorsque nous le vîmes, et il ignorait le sort qui lui était
réservé. Il ne coucha qu'une nuit à Aix et repartit le
lendemain au point du jour. Dans le courant de quelques heures que nous passâmes
ensemble à la conciergerie, nous nous entretîmes de son oncle et
de ses grands oncles qui ont illustré notre ville; de son cousin Gibert
Desmolières; de M. Etienne Michel Gibert, son père, natif d'Aix,
frère de Joseph Balthazar. Il nous apprit qu'Etienne Michel était
mort procureur du roi à Saumur, et que le recteur de l'université
de Paris avait attiré dans la capitale ses deux neveux, devenus orphelins,
à la mort de leur père, mort à Aix de la peste, en 1720.
Enfin il s'établit une telle confiance entre nous, que nous parlâmes
politique et fûmes bientôt convaincus que nous partagions l'un et
l'autre au fond du cur, les mêmes opinions.
Près de quinze ans s'écoulèrent ensuite, sans que nous
eussions pu nous procurer des nouvelles de ce galant homme lorsque le hasard
nous en donna . Il ne nous avait cependant point oublié, mais il ignorait
ce que nous pouvions être devenu. Une petite succession qui lui était
obvenue, l'obligea de rechercher quelques titres à Aix. C'est alors qu
il nous apprit qu'étant encore resté plus de deux ans dans les
prisons de Paris, il avait enfin été mis en liberté par
l'empereur de Russie Alexandre lorsque ce monarque avait fait relâcher
tous les prisonniers d'Etat, au mois d'avril 1814. Madame de Montboissier, fille
de l'illustre M. de Malesherbes, l'un des défenseurs de Louis XVI, l'avait
ensuite recommandé à Louis XVIII, et l'avait fait nommer gentilhomme-servant
dans la maison du roi. Son grade de lieutenant-colonel lui avait été
conservé et il avait obtenu la croix de Saint-Louis, en récompense
de ses services et de ses souffrances. Quoiqu'il lût âgé
de 76 ans, lorsqu'il nous écrivait, il courait tous les jours les rues
de Paris, à pied , comme pour se dédommager, nous disait-il, de
sa longue captivité. Ce loyal et franc royaliste mourut à Paris,
le 2 janvier 1831, avec le regret sans doute, d'avoir vu s'écrouler encore
une fois le trône des Bourbons. Il laissait un frère cadet qui
lui survécut jusqu'au 8 février de la même année
1831, et en qui cette famille s'est éteinte. Celui-ci a légué
à la ville d'Aix les portraits du canoniste Gibert, du recteur de l'université
et de l'académicien du même nom ; portraits qu'on voit actuellement
dans une des salles de la bibliothèque Méjanes, à l'Hôtel-de-Ville.
A peu près en face de la maison des Gibert, est celle qu'occupait M.
Pierre Mollet de Barbebelle, dernier consul d'Aix en 1785 et 1786. Ce vertueux
citoyen, proscrit sous Robespierre comme la plupart des honnêtes gens,
crut pouvoir se tenir caché dans son domicile, au lieu de prendre la
fuite. Découvert par les sans-culottes qui étaient à sa
poursuite, le 11 mars 1794, et certain de périr peu de jours après
sur l'échafaud révolutionnaire, il se donna la mort aussitôt
en se brûlant la cervelle avec un pistolet qu'il portait sur lui. On peut
donc le compter parmi les nombreuses victimes de la révolution à
cette malheureuse époque.
Le lecteur voudra bien se rappeler que la partie de la rue actuelle des Marseillais,
qui traverse entre celle du Pont et de la Verrerie, s'appelait, avant 1811,
la rue Saint-Christophe. 3
Ce nom lui venait d'une statue de ce saint, qu'on voyait anciennement sur le
coin d'une maison appartenant aux Fregier au commencement du siècle dernier,
d'où M. de Haitze donne à cette rue le nom de rue Fregier.
1 Ce cul-de-sac ou impasse est appelé le Puits d'Anterre (lou pous d'Anterro), dans les vieux titres à cause d'un puits public qui s'y trouvait aux XIV et XVe siècles, dans la maison d'une famille Anterre qui avait là sa demeure. Retour
2 Voyez notamment la Biographie universelle de Michaud tome XVII, pag. 317 à 324. Retour
3 Voyez ci-dessus,
pag. 64. Retour