ANS
les XIIe et XIIe siècles, les Juifs de la ville comtale étaient
concentrés dans cette rue, comme ceux du bourg Saint-Sauveur l'étaient
dans la rue actuellement dite de Venel et qu'on appelait alors plus particulièrement
la Juiverie. Un puits public à leur usage seul existait vers le milieu
de la rue qui en a conservé le nom depuis lors.
Antoine de Saint-Marc, reçu conseiller au parlement d'Aix en 1544, habitait
cette rue et y mourut en 1595, étant le plus ancien membre de la cour.
Nous rapporterons, à l'occasion de ce magistrat un fait assez singulier
et qui tient à l'un des événements les plus importants
de notre histoire. Mais il faut auparavant dire en peu de mots ce que nous raconterons
plus longuement ailleurs 1
sur le duc de Savoie, Charles-Emmanuel.
Ce prince, appelé en Provence en 1590 par les états du pays, les
principales villes et la portion du parlement qui tenaient le parti de la Ligue,
fit son entrée solennelle à Aix, le dimanche 18 novembre de ladite
année. Le 23 du même mois, Charles-Emmanuel se rendit au palais,
et, ayant pris place dans la salle dorée, à la droite de la cour,
celle-ci lui donna, par arrêt, toute autorité et commandement des
armées, état et police du pays, sous l'état et couronne
de France.
Nul historien de Provence n'a encore publié le texte de ce fameux arrêt.
Tous se bornent à en donner le précis, tels que Nostradamus, Bouche,
Pitton, Ruffi, Gaufridi, Papon et autres, ce que font aussi les historiens particuliers
du parlement, d'Agut, Louvet, Guidi et d'Hesmivy de Moissac, dont les ouvrages
sont demeurés manuscrits.2
Le voici tel que nous l'avons copié sur la minute qui existe encore dans
les registres du parlement, 3
conservés au greffe de la cour royale de cette ville.
Sur la requeste et réquisition judiciellement faictes par les procureurs
des gens des trois estats de ce païs 4
adcistés des depputés du clergé, de la noblesse et autres
mentionnés en leur réquisition tendant à fin pour les causes
y contenues que " Son Altesse duc de Savoye, Chablais,
Aouste et Génevois, marquis en Itallye, prince de Piedmont, comte de
Genéve, Baugé, Romon, Nisce et Ast, baron de Vaux, Gex et Fancegni,
seigneur de Bresse, Virail et du marquisat de Ceve , Marro, Oucellys, aye toute
auctorité et commandement des armées estat et police en ceste
province et la conservation d'icelle en l'union de la relligion catholique,
apostolique et romayne soubs l'hobéissance et auctorilé de l'estat
royal et couronne de France.
" Veu ladicte requeste contenant au regard conclusions du procureur général
du roy adhérant à icelle, du vingt-uniesme de ce moys.
La cour a ordonné et ordonne que Son Altesse aura toute auctorité
et commandement des armées, estat et police de ceste province pour icelle
conserver en l'union de la relligion catholique, apostolique et romayne, soubs
l'hobéissance et auctorilé de l'estat royal et couronne de France
; et seront baillés extraits audict procureur-général,
pour les envoyer par tous les sièges de la sénéchaussée
de ce païs, pour y estre le présent arrest leu et enregistré,
gardé et observé sellon sa forme et teneur.
A. DE SAINT-MARC. 5
H. SOMMÂT. 6
N. FLOTE. 7 A.
de Saint-Marc. 8
Présents Mess. * Messieurs H. Sommat ancien en absence en empeschement,
E. Puget, J.-A. Thomassin, J. Rascas, P. Ventou, C. Arnaud, C.
Fabri, O. de Tulles, R. Hespagnet, E. Crose, H. de Saint-Marc, J. de Villeneufve.
N. Flote. 9
Faict au parlement de Prouvence séant à Aix et publié en
audience y adcistant Son Altesse, estant messieurs en robbes rouges, le XXIII
novembre 1590. "
Il nous parait hors de doute que cet arrêt ne fut signé ce jour
même, que par le conseiller Honoré Sommat comme ancien en absence
et en empêchement, ainsi qu'il est dit (tous les présidents étant
absents), et par le conseiller Nicolas Flotte en sa qualité de rapporteur,
puisque tel était l'usage alors observé et qui l'a été
jusqu'à la révolution, usage suivant lequel le président
et le rapporteur signaient seuls les arrêts.
Les historiens que nous avons cités plus haut, attestent presque tous
que le conseiller Sommat présidait l'audience; les autres ne nomment
pas le président. Le procureur Foulque Sobolis, témoin oculaire,
dit textuellement dans son journal manuscrit 10
que le vendredi, 23 novembre, ladite Altesse est allée au palais et s'est
assise à main droite de la cour en audience, étant la cour en
robes rouges, ayant prononcé l'arrest que ladite Altesse est gouverneur-commandant
en Provence pour la couronne de France. Présidoit M. du Castellar. 11
Ladite Altesse estoit habillée de satin blanc et en manteau violet semé
d'or, perles et diamants, son cheval de même, suivi de grande quantité
de noblesse ; et ledit arrest a été publié au siége.
Comment se fait-il donc que la minute soit encore signée par le conseiller
Antoine de Saint-Marc ancien de Sommat, et pourquoi le nom de Saint-Marc a-t-il
été ajouté par renvoi à la liste des magistrats
qui siégèrent dans cette mémorable séance ?
Selon nous, cette signature ne peut avoir été apposée qu'après
coup, soit sur la demande de Saint-Marc lui-même, qui aura voulu concourir
à l'arrêt rendu par ses collègues, soit parce que ceux-ci
s'étant trouvés au nombre de treize, auront eu augure à
ce nombre et auront désiré de le porter à quatorze, par
l'adjonction du nom de Saint-Marc. C'était d'ailleurs un vendredi que
cela s'était passé, et l'on sait que nos anciens ne redoutaient
pas moins le jour de vendredi que le fatal nombre de treize.
Quoi qu'il on soit, voici les noms des magistrats ligueurs qui, par leur imprudente
démarche, pour ne pas dire plus, faillirent amener l'usurpation du duc
de Savoie en Provence.
Antoine de Saint-Marc, reçu conseiller en 1544.
Honoré Sommat, seigneur du Castellar, reçu on 1552.
Etienne de Puget, seigneur de Fuveau, reçu en 1569.
Nicolas Flote, seigneur de Meaux, rapporteur, reçu en 1569.
Jean André de Thomassin, seigneur d'Ainac, reçu en 1570.
Jean de Rascas, seigneur de Bagarris, archidiacre de l'église métropolitaine
de Saint-Sauveur, reçu en 1570.
Pierre de Vento, reçu en 1571.
Claude Arnaud, co-seigneur de Riez, reçu en 1571.
Claude Fabri, seigneur de Calas, (oncle du grand Peiresc,), reçu en 1572.
Olivier de Tulles, reçu en 1574.
Raymond d'Espagnet, reçu en 1575.
Esprit Peironeti-de-Croze, reçu en 1577.
Honoré de Saint-Marc,(fils puîné d'Antoine), reçu
en 1587.
Jean de Villeneuve, seigneur de Mons, reçu en 1581.
On ne voit pas pourquoi celui-ci n'est pas porté à son rang parmi
les présents. Serait-ce parce que son nom n'a été inscrit
que postérieurement à l'arrêt, comme celui de Saint-Marc
? Ou est-ce tout simplement par suite d'une erreur du greffier ? Nous l'ignorons.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut, il n'y avait aucun président présent
à cette audience. Le premier président Jean-Augustin de Foresta,
était mort et n'avait pas été remplacé. Le président
Louis de Coriolis était à Manosque à la tête de la
portion du parlement qui tenait le parti d'Henri IV. Les présidents François
d'Estienne Saint-Jean et Louis Duchaine ayant recouvré leur liberté,
12 s'étaient
retirés, l'un à Avignon, l'autre à Marseille ; et le président
Raymond de Piolenc s'était également retiré au Pont-Saint-Esprit.
Dans la même rue du Puits-Juif, était né, le 18 novembre
1745, et est mort, le 10 janvier 1808, à l'âge de soixante-deux
ans, M. Henri Pellicot, avocat, auteur d'une traduction française de
l'Histoire de Manosque, écrite en latin par le jésuite
Colombi. 13
M. Pellicot avait été député à l'assemblée
législative et nommé par elle grand-procurateur de la nation à
la haute cour de justice, à Orléans.
Dans cette même rue encore est né, le 17 décembre 1775,
notre condisciple et ami M. François-Marius Granet, peintre distingué,
aujourd'hui membre de l'institut et conservateur des tableaux des musées
royaux. Le nom, les talents et la réputation de cet illustre compatriote,
nous dispensent d'en parler plus longuement. 14
1 Voyez rue du Pont-Moreau. Retour
2 Nous possédons dans notre bibliothèque, des copies de ces divers manuscrits. On en trouve aussi des copies à la bibliothèque Méjanes, moins cependant l'histoire de Louvet qui est très rare. Retour
3 Deuxième registre des Arrêts publiés à la barre, 1590, neuvième cahier. Retour
4 C'étaient Jean de Forbin, seigneur de la Fare; Jean Barcillon, seigneur de Mauvans; Jean Fabri et François Ausac, consuls et assesseur d'Aix, procureurs du pays de Provence, entrés en exercice le 1er du même mois de novembre 1590, pour un an. Retour
5 Signature apposée en marge de la minute de l'arrêt. Retour
6 Signature apposée a gauche de la minute, à la suite du dispositif. Retour
7 Signature apposée à droite de la minute, sur la même ligne que les précédentes. Retour
8 Sic par renvoi, au-dessus de la ligne où commencent les noms des présents. Retour
9 Signature du rapporteur, lequel n'était plus mentionné au nombre des présents, cette signature en disant assez apparemment. Tel était l'usage. Retour
10 L'original de ce journal, très curieux pour l'histoire d'Aix, commençant en 1562 et finissant en 1607, se trouve à la bibliothèque de Carpentras, parmi les manuscrits de Peiresc. La bibliothèque Méjanes, à Aix, en possède une copie, ainsi que M. Rouard, bibliothécaire, et nous. Retour
11 Honoré Sommat, seigneur du Castellar, était plus connu sous le nom de cette terre que sous le sien propre. - Voyez plus bas. Retour
12 Voyez rue du Grand-Séminaire. Retour
13 Cette traduction est imprimée à Apt, chez Tremollière, 1808, in-8°. Retour
14 Une délibération du conseil municipal, du 20 juin 1844, approuvée dans les formes ordinaires, le 11 août suivant, a exprimé le vu des habitants d'Aix, que le nom de Granet fût donné à l'une de nos rues, et a fait choix, à cet effet, de la rue Neuve, dont nous allons parler. Il n'est sans doute pas un seul de nos concitoyens qui n'ait applaudi à cet hommage rendu au grand artiste dont la modestie égale d'ailleurs le talent; mais quelques-uns ont pensé, peut-être avec raison, que la rue où il est né et qui s'ouvre sur la rue Neuve, eût été plus convenablement choisie que celle-ci pour être le théâtre de cette honorable distinction. Et si l'on disait que l'épithète de Neuve, donnée depuis plus de 500 ans à une rue, n'a plus aujourd'hui aucune signification raisonnable, nous répondrions que les noms de Vauvenargues, de Mazaugues ou de Gallaup-Chastueil, qu'on va retrouver dans l'article suivant, n'auraient pas été moins dignes d'être rappelés au souvenir de leurs compatriotes. Retour