Nous
réunirons dans cet article les divers souvenirs attachés à
cette partie des alentours de la ville qui s'étend depuis l'ancien chemin
conduisant à Marseille, autrement dit de Saint-Lazare, et celui qui borde
du côté du couchant le couvent des Dames du Saint-Sacrement, autrefois
des Minimes, et va se perdre au midi en descendant vers la rivière de
l'Arc. Cette vaste étendue de terre était ce qu'on nommait anciennement
le Pré Bataillier ou Camp-Long, dont nous avons parlé
vers la fin de notre premier volume, 1
et qui se trouve maintenant traversé par la grande route d'Aix à
Marseille.
La maladrerie Saint-Lazare, destinée aux lépreux, fut fondée
au plus tard dans les commencements du XIIIe siècle, sur le bord de ce
chemin, non loin de la porte des Marseillais, qu'on nomma ensuite des Augustins,
et est abandonnée depuis fort longtemps, quoique ses bâtiments
subsistent encore. En 1768, le ministère y forma un dépôt
de mendicité où furent renfermés les mendiants surpris
en état de vagabondage dans toute l'étendue de la province ; mais
cet établissement bien insuffisant pour une pareille destination, ne
subsista que pendant peu d'années.
Jusqu'en 1775 environ, le grand chemin d'Aix à Marseille
bordait la maladrerie Saint-Lazare du côté du levant, lorsque M.
de Boisgelin, archevêque d'Aix, et en cette qualité premier procureur
du pays, président-né des états de Provence, ayant conçu
le projet d'ouvrir une nouvelle route infiniment plus belle et plus large que
l'autre, le coteau dit à la fin du XVIe siècle de Sabatier 2
et qu'on nomme aujourd'hui le Mont-Perrin, fut tranché vers le milieu
pour laisser le passage au chemin neuf. Les terres provenant de ce coupement
servirent à élever la chaussée au milieu de laquelle passe
le chemin en question, et où furent plantés quatre rangs d'ormeaux
qui forment une promenade des plus agréables, sauf l'inconvénient
de la poussière, et qu'on appelle les allées de Marseille. L'on
y découvre d'un côté tout le pays jusqu'à Sainte-Victoire,
les collines de Saint-Antonin, Porcieux, Trets, etc., et de l'autre jusqu'à
Ventabren, Roquefavour et tous les quartiers de Bouffan, de Patheron, de Saint-Mitre
et du Pey-Blanc.
Vers le même temps avait lieu la démolition de l'ancien palais
des comtes de Provence et des constructions romaines qui y étaient enclavées.
3 Les déblais
en provenant servirent encore à exhausser le terrain situé en
dehors du Cours, et à former cette belle place qu'on nomme la Rotonde,
ce qui donna un nouvel aspect à cet abord de la ville dans laquelle on
n'entrait auparavant, de ce côté, que par la porte des Augustins.
Divers plans furent proposés pour l'embellissement de la Rotonde, et
celui qui avait pour but d'ouvrir une nouvelle entrée au bout du Cours,
fut malheureusement adopté, car depuis lors cette magnifique promenade
a perdu une bonne partie de ses agréments, la grande allée du
Cours étant devenue un chemin public, où la poussière est
insupportable en été et que la boue rend presque impraticable
en hiver. 4
Le plan qu'avait donné un très habile artiste, notre compatriote,
5 eut été
bien préférable selon nous. Il consistait à laisser subsister
la belle fontaine dite des Chevaux-Marins et la balustrade en pierre qui terminaient
le Cours, et à ouvrir deux entrées aux voitures publiques, toutes
deux se fermant à volonté par des grilles de fer, l'une à
gauche où était la porte des Augustins à laquelle aboutit
la Grande-Rue-Saint-Esprit, l'autre à droite en face de la rue Mazarine.
De grandes et superbes façades ornées de colonnades et de frontons
aux armes de France et de Provence, eussent remplacé ces mesquines façades
de côté de l'hôtel des Princes et de celui qu'avait habité
le duc de Villars. Un boulingrin en avant de la balustrade du Cours eût
invité les habitants à venir s'y reposer dans les belles soirées
d'été pour respirer le frais ; le tout enfin eût été
plus digne, ce nous semble, d'une capitale telle qu'était alors la ville
d'Aix.
Sur la place de la Rotonde se croisent, avons-nous dit plus haut, 6
les grandes routes de Paris, de Marseille, d'Italie et de la Haute-Provence.
C'est là aussi que viendra aboutir l'embranchement du chemin de fer,
si jamais cet embranchement a lieu..... En attendant, continuons notre description.
La croix monumentale qu'on voit à l'extrémité de la Rotonde,
en face de la grande allée du Cours, fut plantée le 24 avril 1820,
à la suite d'une célèbre mission donnée simultanément
dans les cinq églises paroissiales de la ville et du faubourg, pendant
les mois de mars et d'avril de ladite année. De nombreuses relations
de cette mission qui produisit tant de fruits, furent publiées à
cette époque, et nous y renvoyons nos lecteurs, 7
pour rappeler que vers le lieu même où existe la croix dont nous
parlons, furent bâtis, en 1664, l'église et le couvent des pères
Carmes-Déchaussés attirés à Aix depuis 1636 par
la même Aymare de Castellane-la-Verdière, alors veuve du premier
président d'Oppède, laquelle, onze ans auparavant, avait fondé
le couvent des Carmélites dans Aix. 8
Quelques beaux tableaux de Daret ornaient cette église, et l'on voyait
dans le cloître le portrait du père Jean-Joseph de la Mère
de Dieu, religieux de ce couvent, qui mourut en odeur de sainteté en
1659, à Saïd dans la Haute-Egypte, étant vicaire général
de son ordre. Cc saint personnage était né à Aix, le 10
janvier 1605 et avait porté les armes avec distinction dans sa jeunesse,
étant connu alors sous le nom de Balthazar d'Estienne. En 1778 les bâtiments
et l'église de Carmes-Déchaussés furent abattus pour la
construction de la place de la Rotonde, et la ville donna en échange
à ces religieux ceux qu'occupaient auparavant les pères Servites.
9
En-delà de la Rotonde, en se dirigeant vers le couchant. continue ce
qu'on appelait jadis le Pré Bataillier. Là se trouvait, au XVIIe
siècle, un Jeu de Mail qui a subsisté longtemps encore après
la construction de celui dont nous avons parlé tantôt, et qui avoisine
le cours Saint-Louis et la Plate-Forme. De belles auberges la rue de l'Aigle-d'Or
dont les maisons sont toutes accompagnées de jardins, les aires publiques
dites de Saint-Roch, 10
et le cours des Minimes occupent aujourd'hui ce vaste emplacement qui rejoint,
du côté du nord, le couvent du Saint-Sacrement, la montée
d'Avignon et le cours Sextius par lequel nous avons commencé cette dernière
partie de notre travail.
2 Voyez ci-dessus, pag. 477. Le fort Saint-Roch qui y fut bâti en 1593 par les habitants d'Aix que le duc d'Epernon commençait à assiéger, fut ainsi nommé parce que la première pierre en fut posée le 16 août, jour auquel l'église célèbre la fête de saint Roch. Retour
3 Voyez notre 1er vol., pag. 14 et suiv. Retour
4 Voyez ci-dessus, pag. 127. Retour
5 GiIles-Paul Cauvet, sculpteur de Monsieur (comte de Provence, depuis Louis XVIII), né à Aix le 17 avril 1731, mort à Paris le 15 novembre 1788. Voyez la Biographie universelle de Michaud, tom. VII, pag. 437. - Nous possédons l'original de ce projet, dessiné et signé par cet artiste. Retour
6 Voyez ci-dessus, pag. 131. Retour
7 Relation de la mission d'Aix, en mars et avril 1820 ; par M. G... , Aix, Chevalier, 44 pag. in-8°. - Relation de la procession solennelle faite à Aix, le 24 avril 1820, pour la plantation de la croix de la mission ; Aix, Mouret, 17 pag. in-8°. - Lettres sur la mission d'Aix, en 1820 ; Aix, Mouret, 21 pag. in-8°. - Quelques lettres sur la mission d'Aix ; Aix, Pontier, 45 pag. in-8° - Sur la mission donnée à Aix en 1820 ; Paris, Boucher, 4 pag. in-8°. - Un mot de plus sur les missionnaires, par Augustin Fabre, étudiant en droit à la faculté d'Aix ; Aix, Mouret, 12 pag. in-8°. Retour
8 Voyez ci-dessus, pag. 223. Retour
9 Voyez notre 1er vol., pag. 212. Retour
10 Ainsi nommées à cause d'une petite chapelle maintenant détruite, qui y fut élevée en l'honneur de Saint-Roch, en 1721, après la cessation de la peste. - Là avaient été établies des huttes comme au Jeu de Mail, où furent soignés un nombre infini de pestiférés. L'hôpital de la Charité et le couvent des Minimes furent convertis en infirmeries, et il périt dans celle des Minimes à peu près dix fois moins de malades que dans l'autre. Voyez ci-après, l'état général des personnes qui décédèrent de la peste du 1er août 1720 au 31 juillet 1721. Retour