OLIN
BARTHELEMI, seigneur de Sainte-Croix, a donné son nom à cette
rue où était située la maison qu'il habitait. C'était
un personnage de mérite, un bon citoyen et dont aucun biographe ne fait
mention. Nous allons tâcher de réparer cet oubli.
Il était né à Aix avant le milieu du XVe siècle,
de Jean Barthélemi, seigneur de Sainte-Croix, qui fut deux fois assesseur
d'Aix, en 1433 et 1456, puis maître-rational, enfin juge-mage de Provence
en 1465 jusqu'en 1474, époque de sa mort.
Rolin Barthélemi, fut, comme son père, un habile jurisconsulte
et assesseur d'Aix depuis le mois de novembre 1482, jusqu'à la fin du
mois d'octobre de l'année suivante. La réputation qu'il acquit
dans l'exercice de ses fonctions, lui valut l'honneur d'être député,
en 1486, avec Jean-Baptiste de Pontevès, baron de Cotignac, auprès
du roi Charles VIII, pour demander la réunion définitive et irrévocable
de la Provence à la couronne de France.
Sa négociation ayant réussi au gré des Provençaux
, il revint à Aix, où les états-généraux
du pays ayant été assemblés, au mois d'août de la
même année, il fut résolu " de se donner, d'un cur
franc au roi dé France et de le prier de recevoir les Provençaux
en bons et fidèles sujets, les laissant vivre dans leurs statuts, coutumes,
libertés et privilèges, avec assurance de n'être jamais
désunis de la royale couronne de France a laquelle ils prétendaient
d'être inséparablement attachés et unis, non comme un accessoire
à son principal, mais principalement et séparément du reste
du royaume, conformément au testament de Charles III d'Anjou, dernier
comte de Provence, mort quatre ans auparavant.
Les vux des Provençaux ne tardèrent pas à être
comblés par le célèbre édit donné à
Compiègne au mois d'octobre 1486, portant Union de la Provence à
la couronne de France et par lequel Charles VIII " jura et promit, eu bonne
fois et parole de roi, de nous unir à la couronne, sans nous subalterner
à la France et de maintenir nos privilèges, libertés, etc.
" Cet édit fut accueilli avec des transports de joie extraordinaires,
et de nouveaux états ayant été tenus à Aix, au mois
d'avril 1487, plus nombreux qu'aucuns de ceux qui avaient eu lieu jusqu'alors,
l'union fut jurée par tous les assistants ; d'où se forma ce contrat
solennel en vertu duquel les rois de France ont régné pendant
trois siècles et jusqu'à la révolution,
sur la Provence, non comme rois de France, mais comme comtes de Provence,
ainsi qu'ils en prenaient le titre, depuis lors, dans tous leurs édits,
déclarations et lettres-patentes concernant ce pays.
En récompense de ses services, Rolin Barthélemi fut nommé
par le roi, président de la cour des maîtres-rationaux de Provence,
séant à Aix, et fut reçu en cette qualité le 15
janvier 1488. Louis XII le nomma depuis maître des requêtes de son
hôtel, enfin conseiller d'état. Il mourut à Aix en 1512
et fut enseveli dans l'église de l'Observance. Son fils et son petit-fils
furent de bons citoyens comme lui, et exercèrent chacun, à trois
reprises différentes, la charge de premier consul d'Aix, procureur du
pays de Provence. Cette honorable famille est éteinte depuis au-delà
de deux siècles, Lucrèce de Barthélemi, dame de Sainte-Croix,
fille unique, ayant épousé, en 1605, Jean-François de Forbin,
seigneur de La Fare, cadet de la branche des Forbin-Maynier d'Oppède,
et de ce mariage sont issus MM. de Forbin de Sainte-Croix marquis des Issarts,
résidant actuellement à Avignon.
Rolin Barthélemi avait publié, de son vivant, un traité
des formes observées dans les procédures devant la cour des maîtres-rationaux,
sous ce titre : Statuta venerande curie camere regie rationum civitatis Aquensis,
etc. Ce livre, imprimé à Lyon, par Etienne Baland, au mois
d'octobre 1508, petit in-4° de 31 pag. seulement, parait avoir échappé
aux recherches de nos bibliographes. Il en existe un exemplaire dans la riche
bibliothèque de notre compatriote et ami, M. Charles Giraud, naguère
avocat et professeur en droit à Aix, aujourd'hui inspecteur général
des écoles de droit, membre de l'institut, etc. Il est curieux, non seulement
par son ancienneté et sa rareté (cet exemplaire est peut-être
unique), mais aussi parce qu'on y trouve cités plusieurs personnages
qui vivaient à Aix dans ce temps-là et qui avaient eu quelque
célébrité. Rolin Barthélemi y prend les titres de
professeur en droit, président de la cour, maître-rational et conseiller
du roi.
La rue Sainte-Croix a quelquefois été nommée, dans le XVIe
siècle, la rue Malespine, à cause des Malespine, seigneurs de
Monjustin, qui y demeuraient. Charles de Malespine, le même peut-être
que nous avons déjà cité, 1
fut élu second consul d'Aix au mois d'octobre 1536, pour entrer en exercice
avec Balthazar de Rodulphe, seigneur de Châteauneuf, Philippe Boissoni
et Honoré Feraporte, assesseur, le 1er novembre d'après, et demeurer
en fonctions jusqu'au 31 octobre de l'année suivante 1537, ce qu'il est
facile de prouver par les registres de l'Hôtel-de-Ville. Cependant Pitton
rapporte, dans son Histoire d'Aix, 2
que ces quatre magistrats étaient en charge lors de l'entrée de
l'empereur Charles Quint dans cette ville, au mois d'août 1536, et il
ajoute que :
" Malespine qui, d'autre part, négocioit en laines et en draps,
estoit bien en peine se trouvant chargé de diverses étoffes et
ayant presque tout son vallant en marchandises. Il avoit demandé au grand-maistre
de Montmorency de quelle façon il se devoit conduire, qui luy répondit
qu'il fisse ce qu'il pourroit dans une saison de désordre. Ce consul
bien avisé, eut, par le moyen de quelque amy, une sauvegarde de l'empereur,
et comme il fut arrivé et qu'il l'eut salué, il prit la liberté
de le convier à diner. L'empereur surpris d'une telle offre, et pour
le mieux mettre en peine, le prit au mot, luy demandant combien désiroit-il
qu'il menât de gens avec luy. Monjustin repart qu'il en pourvoit avoir
tout autant qu'il trouveroit à propos, ce qui fut exécuté
le lendemain le long de la rivière de l'Arc, avec tel ordre, qu'on avoit
disposé grand nombre de personnes à quelques pas les unes des
autres qui, dans presque un instant, couvrirent la table, quoy que tous les
mets fussent apprestéz dans la ville, et les plats garnis donnés
de main en main jusqu'à ce qu'ils fussent sur la table.
Pitton n'eût pas rapporté ce conte ridicule, s'il eût fait
attention que Malespine et ses collègues n'entrèrent en fonctions
que deux mois après la retraite de Charles-Quint, c'est-à-dire
le 1er novembre 1536, et non le 1er janvier précédent ; et s'il
était vrai que Malespine eût traité l'empereur, quelque
excusable qu'on puisse trouver ce régal, attendu la circonstance, du
moins est-il certain qu'on n'eût pas choisi celui qui l'avait offert,
pour en faire un consul deux mois après ce manque de fidélité
envers son légitime souverain. Aussi n'hésiterons-nous pas à
rejeter ce prétendu dîner comme entièrement apocryphe.
1 Voyez ci-dessus pag. 48. Retour
2 Livre IV, chap. VI, pag. 265 et suivantes.
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