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côté du levant, le Cours a deux issues : 1° la rue Tournefort,
sur laquelle nous n'avons rien à dire, sinon qu'avant 1811, elle n'était
désignée par aucun nom particulier et que l'administration municipale
lui donna alors celui du grand botaniste, l'un des plus savants hommes que la
ville d'Aix ait produit, comme on appela, à la même époque,
la rue Peiresc, la rue Monclar, la rue Vanloo, etc., quelques autres rues qui
n'avaient pas de nom auparavant ; 2° la place des Carmélites dont
nous allons parler.
Cette place, située, disons-nous, à la tête du Cours et
à laquelle aboutissent cinq grandes rues, doit son nom au couvent des
religieuses Carmélites, reçues dans Aix en l'année 1625,
par les soins d'Aymare de Castellane-la-Verdière, femme de Vincent-Anne
de Forbin-Maynier, baron d'Oppède, premier président du parlement.
L'église de ces religieuses, occupée aujourd'hui par les Missionnaires
de Provence, fondés, sous l'empire, par M. l'abbé de Mazenod,
actuellement évêque de Marseille, fut construite, en 1695, telle
que nous la voyons. Comme elle est fort élevée au-dessus du sol
de la place, on y monte par des degrés sur l'emplacement desquels existait,
dit-on, au milieu du XVIe siècle un pin fameux dans l'histoire d'Aix.
Cet arbre croissait dans un jardin alors situé hors la ville et qui appartenait
à François de Genas, seigneur d'Eguilles, conseiller au parlement.
Ce magistrat, zélé protestant, quoiqu'il exerçât
un office de conseiller-clerc, établit, vers 1559, dans ce jardin, une
espèce de prêche où se réunissaient secrètement
les habitants qui professaient la religion prétendue réformée,
au nombre desquels se trouvaient quelques autres membres du parlement. Comme
il n'y avait dans ce jardin aucun bâtiment du moins assez spacieux pour
servir de prêche, les huguenots s'abritaient sous ce pin et chantaient
là les psaumes de David mis en vers français par Marot.
Nous ne rapporterons pas toutes les atrocités qui furent commises en
Provence à cette époque, soit de la part des huguenots contre
les catholiques, soit de la part de ceux-ci contre les religionnaires ; on en
trouve le récit dans tous les historiens du pays. Il nous suffira de
dire que les habitants d'Aix, dont la grande majorité professait la religion
romaine, se livrèrent à des excès inouïs envers les
protestants, et que le principal théâtre de ces excès fut
ce jardin du conseiller de Genas dont nous parlons.
Ce fut en l'année 1562, qu'eurent lieu les plus grandes scènes
d'horreur. Un nombre infini de malheureux huguenots furent pendus aux branches
de ce pin qui, naguère, leur servait de prêche. Les exécuteurs
de ces barbaries étaient des bouchers et des gens de la lie du peuple,
parmi lesquels on distinguait surtout un paysan nommé Tarron, qu'on appelait
communément Sen Tarron ou le seigneur Tarron, sans doute à cause
de la supériorité qu'il avait acquise sur ces brigands.1
L'édit de janvier qui, le premier, accorda aux protestants l'exercice
public de leur religion en France, fut enregistré le 6 février
au parlement d'Aix, et contint les assassins pendant quelques mois, grâce
à la sage précaution que prirent les commissaires du roi, porteurs
de l'édit, d'établir dans cette ville des troupes favorables aux
religionnaires ; mais ce calme ne fut pas de longue durée.
La Journée des Epinards, dont nous avons rendu compte dans notre
premier volume,2
ramena la victoire sous les drapeaux des catholiques qui ne connurent plus de
bornes dans leur vengeance. Durand de Pontevès, seigneur de Flassans,
frère du comte de Carces, était alors premier consul d'Aix. 3
Il se faisait appeler le Chevalier de la Foi, et portait une croix blanche
sur son chapeau comme signe de ralliement. Echappé récemment au
sac de Barjols, où les protestants avaient passé au fil de l'épée
tous les catholiques qui s'étaient rencontrés sous leurs pas dans
cette malheureuse ville, il était rentré dans Aix, et l'histoire
lui reproche de n'avoir que trop servi les cruautés des catholiques,
ainsi que le seigneur de Ventabren, le chevalier de Cuges, le procureur Jean
Nostradamus, frère du prophète Michel Nostradamus, et quelques
autres.
Les pendaisons aux branches du pin recommencèrent avec plus de violence
qu'auparavant, sans distinction d'âge, ni de sexe : à chaque matin,
disent les vieux mémoires du temps, " l'arbre fatal portait de nouveaux
fruits. " Les femmes voulurent aussi participer aux exécutions,
et celles-ci furent plus terribles encore. Une nommée Melchionne, femme
d'un libraire, dont le crime était d'avoir vendu les psaumes de Marot,
fut cruellement percée de coups de couteau par ces furies, qui allèrent
ensuite la pendre par les pieds, encore vivante, à une branche du pin.
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Vers la fin de juin, le conseiller Jean Salomon, qui professait la nouvelle
religion, se rendant imprudemment de son logis au palais, fut assailli par la
populace sur la place des Prêcheurs, et chercha inutilement un refuge
dans le cloître du couvent de ces religieux; il y fut poursuivi, inhumainement
assassiné, et son cadavre traîné sur la place d'où
le parlement le fit enlever par un huissier qu'il chargea de le faire enterrer.
On ne finirait pas si on voulait détailler toutes les horreurs qui se
commirent cette année-là dans Aix : on n'y croirait peut-être
pas, si, de nos jours, nous n'avions été témoins de semblables
atrocités 5
qui prouvent que les hommes sont toujours les mêmes lorsqu'ils se laissent
aveugler par leurs passions.
Le roi Charles IX, parcourant son royaume en l'année 1564, visita la
Provence et fit quelque séjour à Aix dans le courant du mois d'octobre.
6 Siégeant
au palais, au milieu de son conseil, il ordonna que le pin serait abattu, ce
qui fut exécuté sur le champ. Mais la mémoire s'en est
conservée jusqu'à nous, et Belleforest, faisant imprimer en 1575,
sa Cosmographie universelle, y a placé un plan, aujourd'hui très
curieux, de la ville d'Aix telle qu'elle existait alors, et dans lequel il a
désigné nominativement le Jardin du Pin, hors l'ancienne
porte Saint-Jean. 7
1 L'honorable M. Porte possède dans son riche cabinet de tableaux, une peinture sur bois, de vingt-cinq centimètres de hauteur sur dix-huit de largeur, qui date du temps de ce personnage, où celui-ci est représenté revêtu d'un manteau noir d'où sortent les manches de sa chemise, et d'un gilet jaune boutonné jusqu'au cou. La figure regarde à sa droite à une certaine hauteur et paraît donner un signal (peut-être celui d'une exécution) au moyen de la main droite dont le pouce est placé dans un lacet qui pend autour du cou jusqu'au-dessous de la poitrine. La tête est couverte d'une espèce de béret noir ; elle porte de grandes moustaches et une barbe assez longue au-dessous de la lèvre inférieure. Le personnage parait être âgé d'environ cinquante ans. Sous ce portrait est écrit: Sen Tarron, et derrière la planche : Sen Tarron qué fasié pendré lous uganaus au pin. Retour
2 Voyez notre 1er vol., pag. 447. Retour
3 Voyez notre 1er vol., pag. 144. Retour
4 Pitton, Histoire d'Aix, pag. 289 et suiv. Retour
5 Voyez ci-dessus, pag. 67 et suiv., 165, 166, 187 et autres. Retour
6 Voyez notre 1er vol., pag. 357 et suiv. Retour
7 Voyez notre 1er vol., pag.
327. plan n° II. Retour